Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/75

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l’écart. Cette expérience me fit reconnaître que les vertus humaines, comme les veilleuses, brillent davantage dans les ténèbres, et qu’elles doivent principalement leur lustre à l’atmosphère d’un monde corrompu. De la théorie je retournai aux faits.

La question de l’esclavage occupait les esprits philanthropiques depuis bien des années ; et comme je me sentais une singulière apathie sur ce sujet important, j’achetai cinq cents esclaves de chaque sexe pour me forcer à y prendre intérêt. Cela me rapprocha des États-Unis d’Amérique, pays que j’avais cherché à effacer de mon souvenir, car, tout en cherchant à encourager en moi l’amour du genre humain, je n’avais pas cru nécessaire de le porter jusqu’à ce point. Comme il n’y a pas de règle sans exception j’avoue que j’étais disposé à croire qu’un Yankee pouvait être une omission raisonnable dans le système de philanthropie d’un Anglais. Mais comment s’arrêter quand on est une fois en chemin ? Les nègres me conduisirent à acheter une plantation de sucre et de coton sur les bords du Mississipi ; je pris ensuite des actions dans une compagnie pour la pêche des perles et du corail ; enfin j’envoyai un agent dans les îles Sandwich, pour proposer au roi Tamaahmaah de créer un monopole pour la vente du bois de sandal, à bénéfice commun.

La terre et tout ce qu’elle contient prit un nouvel éclat à mes yeux. J’avais rempli la condition essentielle des économistes politiques, des juristes, des faiseurs de constitution, et de « tous les talents, » en ayant un intérêt dans la moitié des sociétés du monde. J’étais propre à gouverner, à donner des avis et même des ordres à la plupart des peuples de la chrétienté, car j’avais pris un intérêt direct à leur prospérité, en en faisant la mienne. Vingt fois je fus sur le point de sauter dans une chaise de poste, et de courir au galop jusqu’au presbytère, pour mettre aux pieds d’Anna ma nouvelle alliance avec mon espèce, et toute la félicité qui devait en être la suite ; mais la pensée terrible de la monogamie, dont le résultat serait de paralyser mon affection universelle, me retint toujours. Je lui écrivais pourtant chaque semaine, et je la faisais participer à une portion de mon bonheur, quoique je n’eusse jamais la satisfaction d’en recevoir une seule ligne en réponse. Complètement dégagé de tout égoïsme, et entièrement occupé de mon espèce, je quittai alors l’Angleterre, pour faire un voyage d’inspection philanthropique. Je n’ennuierai point le