Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/264

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rapidement sur le pied du beaupré, il se plaça contre la lisse de l’avant, et s’inclinant en dehors il examina avec attention les chaînes qui servaient d’amarres sur l’avant. Elles étaient très-rapprochées et parallèles, et comme elles étaient raidies, elles ne formaient qu’une légère courbe. Depuis le rocher, ou l’endroit où les ancres à jet avaient été mouillées, jusqu’à une pointe qui n’était qu’à trente pieds du bâtiment, on voyait épars çà et là des êtres vivants qui semblaient y ramper. Un second coup d’œil lui suffit pour reconnaître que c’étaient des hommes qui s’avançaient furtivement vers le paquebot.

Levant son anspect, M. Blunt en frappa plusieurs coups avec force sur les chaînes. Il en résulta que tous les Arabes — car c’étaient des Arabes — cessèrent tout à coup d’avancer, et restèrent assis sur les chaînes jambe de çà, jambe de là.

— Cela est effrayant, dit M. Sharp ; mais nous devons mourir plutôt que de permettre qu’ils arrivent ici.

— Je pense de même. Restez ici ; et s’ils avancent, frappez sur les chaînes. Nous n’avons pas un moment à perdre.

Blunt prononça ces mots à la hâte, et remettant l’aspect à son compagnon, il courut aux bittes, et commença à larguer les chaînes. Les Arabes entendirent le bruit des anneaux de fer qu’il jetait sur le pont à mesure qu’il larguait les chaînes, et ils n’avancèrent pas. Bientôt deux chaînes plièrent sous eux, et l’instant d’après les deux autres en firent autant. Ce fut l’instant d’une retraite générale, et M. Sharp compta positivement quinze hommes retournant à la hâte vers le récif, les uns dans l’eau jusqu’à mi-corps, les autres s’accrochant de leur mieux aux chaînes avec leurs mains. Les chaînes de l’avant étant larguées et tombées dans la mer, le bâtiment dériva peu à peu sur l’arrière. Les deux jeunes gens restèrent alors quelques instants en silence sur le gaillard d’avant, comme s’ils eussent pensé que tout ce qui venait de se passer n’était qu’une illusion.

— Cette situation est terrible ! s’écria enfin M. Blunt ; nous n’avons pas même un pistolet, pas un seul moyen de défense ; rien que cet étroit espace d’eau qui nous sépare de ces barbares ! Ils ont sans doute des armes à feu, et dès qu’il fera jour, nous ne pourrons même pas rester en sûreté sur le pont.

M. Sharp prit la main de son compagnon et la serra fortement.

— Que Dieu vous récompense s’écria-t-il d’une voix étouffée ; qu’il vous récompense de nous avoir procuré même un court délai. Sans l’heureuse pensée que vous avez eue, miss Effingham, les autres, nous tous, nous serions à présent à la merci de ces barbares impi-