Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/265

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toyables. — Ce n’est pas le moment de se livrer à un faux orgueil, ou de chercher indignement à se tromper l’un l’autre ; je suis sûr que chacun de nous mourrait volontiers pour épargner à cette belle et innocente créature un destin comme celui qui la menace ainsi que nous.

— Je donnerais ma vie pour la savoir en ce moment dans un pays civilisé et chrétien.

Ces généreux jeunes gens se serrèrent la main, et pas un sentiment de rivalité n’entra en ce moment dans leur cœur ; ils n’étaient inspirés que par le désir le plus pur et le plus ardent de sauver la femme qu’ils aimaient, et il serait vrai de dire que la sûreté d’Ève était le seul objet qui occupât leurs pensées. Dans le fait, l’intérêt qu’ils prenaient à elle était si vif ; son destin, si elle était prise, leur paraissait à un tel point plus terrible que celui de toute autre personne, qu’ils oublièrent pour le moment qu’elle n’était pas seule avec eux sur le bâtiment, et même qu’il s’y trouvait des individus qui pouvaient contribuer à détourner la calamité qu’ils redoutaient.

— Il peut se faire que leur troupe ne soit pas nombreuse, dit Paul Blunt après un instant de réflexion, et dans ce cas, n’ayant pas réussi à nous surprendre, il est possible qu’ils ne puissent rassembler une force suffisante pour hasarder une attaque à force ouverte avant le retour des embarcations. Nous avons, Dieu merci ! échappé au malheur d’être attaqués à l’improviste, et de devenir, sans nous en douter, victimes d’un si cruel destin. Quinze à vingt hommes oseront à peine attaquer un bâtiment du port de celui-ci, à moins qu’ils ne connaissent parfaitement notre petit nombre, et surtout notre dénuement total de toute espèce d’armes. Nous avons un petit canon à bord, il est chargé, et il peut servir à leur en imposer et à leur cacher notre faiblesse. Éveillons tout le monde, car ce n’est pas le moment de dormir. Nous sommes en sûreté, du moins pour une heure ou deux ; car, sans barques d’aucune espèce, ils ne peuvent trouver les moyens de venir à bord en moins de temps.

Les deux jeunes gens descendirent, marchant sans le savoir sur la pointe des pieds, comme des gens menacés d’un danger présent. Blunt était en avant, et, à sa grande surprise, il trouva Ève à la porte de sa chambre, et elle avait l’air de les attendre. Elle était tout habillée, car ses craintes et la nouveauté de sa situation l’avaient engagée à garder pendant la nuit une partie de ses vêtements, et quelques minutes lui avaient suffi pour compléter sa toilette. Elle était pâle, mais toute son énergie était concentrée en elle-même et l’empêchait de montrer la faiblesse d’une femme.

— Quelque chose va mal, dit-elle, tremblant en dépit d’elle même,