Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/262

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— Je crois que nous viendrions à bout d’un requin, Monsieur. J’ai vu une fois un de ces animaux, et je crois réellement que le sogdollader est plus pesant que lui. Oui, je pense que nous viendrions à bout d’un requin.

— Vous voulez parler d’un requin des côtes, — des hautes latitudes ; mais que diriez-vous d’un requin aussi grand qu’un de ces pins sur la colline ?

— Un pareil monstre avalerait un homme tout entier.

— Un homme ! dites tout un peloton, toute une file indienne. Je suppose que ces pins peuvent bien avoir trente à quarante pieds.

Un rayon d’intelligence et de triomphe brilla sur les traits basanés du vieux pêcheur, car il venait de découvrir un côté faible dans les connaissances de son compagnon. Ceux qui excellent dans une chose ne sont pas en général aussi habiles dans les autres, et le brave capitaine était complètement ignorant sur presque tout ce qui concernait la terre. Qu’elle pût produire un arbre plus long que son grand mât, c’était ce qu’il ne croyait pas probable, quoique ce mât lui-même ne fût qu’une partie d’un arbre ; et, dans la louable intention de faire sentir au commodore la supériorité d’un vrai marin sur un navigateur d’eau douce, il lui avait laissé voir qu’il pouvait commettre des erreurs dans le calcul des hauteurs et des distances, circonstance dont le vieux pêcheur profita avec le même empressement que le brochet saisit l’hameçon. Cette méprise accidentelle épargna seule à ce dernier l’humiliation de s’abaisser jusqu’à la plus abjecte soumission ; car le ton froid de supériorité du capitaine l’avait tellement dépouillé de tout amour-propre, qu’il était près de reconnaître qu’il ne valait pas mieux qu’un chien, quand cette heureuse bévue fut pour lui un trait de lumière.

— Il n’y a pas sur cette colline un seul pin qui n’ait plus de cent pieds, et un grand nombre sont plus près de deux cents, s’écria-t-il en agitant le bras avec un transport de joie pour les montrer. La mer peut avoir de grands monstres, capitaine ; mais nos montagnes ont leurs grands arbres. Avez-vous jamais vu un requin qui eût cent pieds de longueur ?

Le capitaine Truck aimait au fond la vérité, quoiqu’il se permît quelquefois de la voiler en plaisantant, et qu’il fût disposé à parler avec exagération des merveilles de l’Océan, et il ne pouvait en conscience affirmer une chose aussi extravagante. Il fut donc obligé d’avouer sa méprise, et, à compter de ce moment, la con-