Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/263

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versation continua sur un pied plus égal. Ils causèrent tout en pêchant, de politique, de philosophie, des arts utiles, de la nature humaine, de l’abolition de l’esclavage, et d’autres objets qui pouvaient intéresser deux Américains qui n’avaient autre chose à faire que de jeter de temps en temps un coup d’œil sur leurs lignes. Quoique peu de peuples possèdent moins l’art de la conversation que nos concitoyens, nulle autre nation ne prend un si vaste essor dans ses discussions. L’homme qui ne sait pas ou qui ne croit pas savoir un peu de tout, ne serait pas un vrai Américain ; et à cet égard, nos deux personnages n’étaient pas en arrière pour soutenir le caractère national. Cet entretien sur des objets d’intérêt général rétablit donc entre eux la bonne intelligence ; car, pour dire la vérité, notre ancien ami le capitaine Truck était un peu honteux de l’affaire des arbres. La seule particularité digne d’être rapportée qui eut lieu dans le cours de leur conversation, fut que le commodore commença peu à peu à appeler son compagnon « général, » les usages du pays paraissant exiger, à ses yeux, qu’un homme qui avait vu bien plus de choses que lui eût du moins un titre égal au sien, et celui d’amiral étant proscrit par les scrupules des principes républicains.

Après avoir pêché quelques heures, le vieil habitué du lac fit aborder son esquif à la pointe de terre dont il a été si souvent parlé. Il y alluma du feu, et se mit à préparer le dîner. Quand tout fut prêt, ils s’assirent sur l’herbe, et commencèrent à jouir du fruit de leurs travaux d’une manière que comprendra tout vrai pêcheur.

— Je n’ai pas encore pensé, général, dit le commodore en commençant ses opérations sur une perche, à vous demander si vous êtes aristocrate ou démocrate. Nous avons assez discuté ce matin sur le gouvernement ; mais cette question m’a échappé.

— Comme nous sommes ici tête à tête, sous ces beaux chênes, et causant comme deux anciens camarades, répondit le capitaine la bouche à demi pleine, je vous dirai la vérité sans la mâcher : j’ai été si longtemps le maître à bord de mon bâtiment que j’ai un mépris complet pour toute égalité. C’est une chose que j’abhorre, et quelles que puissent être les lois de ce pays, je pense que l’égalité n’est nullement fondée sur la loi des nations ; et après tout, commodore, c’est la seule loi véritable sous laquelle on puisse aimer à vivre.

— C’est la loi du plus fort, si je ne me trompe, général.