Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/383

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croyez-en ma parole, nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir conduit toutes choses où elles doivent être.

Le lecteur ne doit pas supposer, d’après le langage de M. Dodge, que ce respectable personnage était partisan des lois agraires, ou qu’il désirât voir s’effectuer un jour un partage égal de tous les biens. Possédant déjà lui-même plus qu’il ne fallait pour former la part d’un individu dans un partage général, il n’avait pas la moindre envie de diminuer sa fortune en la jetant dans la masse à diviser entre tous. Dans le fait, il ne savait ce qu’il voulait, mais il portait envie à tout ce qui était au-dessus de lui, et c’était là qu’il fallait chercher le secret de ses doctrines, de ses principes et de ses souhaits. Tout ce qui pouvait abattre ceux que leur éducation, leur fortune, leurs habitudes et leurs goûts plaçaient dans une position plus élevée que la sienne, lui paraissait juste et raisonnable ; tandis que la même manière de penser dans les autres à l’égard de tout ce qui pouvait lui être utile, était à ses yeux tyrannie et oppression. Les institutions de l’Amérique, comme toutes les choses humaines, ont leur bon et leur mauvais côté ; et quoique nous soyons fermement convaincu que le bon l’emporte sur le mauvais, quand on les compare à d’autres systèmes, nous n’arriverions pas au but que nous nous sommes proposé dans cet ouvrage, si nous ne mettions sous le plus grand jour un des résultats les plus évidents causés par l’entière destruction de toutes distinctions personnelles factices dans ce pays, et ce résultat c’est d’avoir développé bien plus activement que partout ailleurs le penchant général de l’homme à convoiter ce qu’un autre possède, et à décrier le mérite auquel il ne peut atteindre.

— Je suis charmée de vous entendre parler ainsi, dit mistress Abbot, dont les principes étaient d’une école aussi relâchée que ceux de son compagnon ; car je crois que, si l’on veut maintenir la moralité dans un pays, personne ne devrait avoir de droits que ceux qui ont de la religion. — Mais je vois passer ce vieux marin Truck, avec son compagnon de pêche le commodore, portant comme d’usage leurs lignes et leurs avirons, appelez-les, monsieur Dodge, car je meurs d’envie de savoir ce que le premier peut avoir à dire à présent sur ses chers amis Effingham.

M. Dodge fit ce qu’elle désirait, et les deux navigateurs, l’un du lac et l’autre de l’Océan, furent bientôt assis dans la petite salle de mistress Abbot, qu’on pouvait, appeler le foyer du com-