Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mécréants et à faire une honorable retraite, en réduisant en cendres le fort et les huttes, il n’y a aucun doute que Lundie ne se souvienne de lui et ne le récompense suivant son mérite. Oui, oui, Mabel, il faut non-seulement sauver la vie de votre père, mais encore sa réputation.

— Cette île a été surprise par les sauvages ; le blâme n’en peut retomber sur mon père.

— On ne sait, on ne sait ; la gloire militaire est une chose bien incertaine. J’ai vu les Delawares blâmés pour des faits qui méritaient plus de louanges qu’une victoire. Un homme a grand tort de mettre sa gloire dans des succès d’aucune sorte, et surtout dans des succès à la guerre. Je connais peu les établissements et les jugements que les hommes y portent ; mais ici même les Indiens jugent la réputation d’un guerrier d’après son bonheur. La principale chose pour un soldat, c’est de n’être jamais battu, et je crois qu’on s’inquiète fort peu de la manière dont la bataille a été gagnée ou perdue. Pour ma part, Mabel, je me suis fait une loi, lorsque je suis en face de l’ennemi, de lui envoyer autant de balles qu’il est en mon pouvoir, et de pratiquer la modération lorsque je suis vainqueur. Quant à être modéré après la défaite, on n’a pas besoin de le recommander, car être battu est la chose du monde qui rend le plus humble. Les prédicateurs prêchent l’humilité dans les garnisons ; mais si l’humilité fait des chrétiens, les soldats du roi devraient être des saints, car ils n’ont pas fait autre chose cette année que de prendre leçon des Français, depuis le fort Duquesne jusqu’au Ty.

— Mon père ne pouvait soupçonner que la position de l’île fût connue de l’ennemi, — reprit Mabel, dont l’esprit était préoccupé de l’effet que les événements récents produiraient sur le sergent.

— Cela est vrai, et je ne puis pas comprendre comment les Français l’ont découverte. Le lieu est bien choisi, et il n’est pas facile, même pour ceux qui ont déjà été dans l’île, d’y revenir une seconde fois ; il y a eu de la trahison, je le crains. Oui, oui, il faut qu’il y ait eu de la trahison.

— Oh ! Pathfinder, cela pourrait-il être ?

— Rien n’est plus facile, Mabel, car la trahison est aussi naturelle à certaines gens que la faim. Lorsque je trouve un homme dont les paroles sont mielleuses, j’examine sévèrement ses actions, car lorsque le cœur est droit et ne veut que le bien, il laisse sa conduite parler au lieu de sa langue.