Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/138

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ni l’autre ne songeaient aux chances du voyage à entreprendre, — à la probabilité qu’il ne réussirait pas, — aux divers motifs qui pouvaient encore porter la reine à refuser son consentement à leur union. Mercédès sortit la première de cette courte extase, car elle fut alarmée du retard indiscret de Luis, et elle se hâta de lui faire signe de partir. Il fit de nouveau sentir ses éperons à son noble coursier, qui en partant fit jaillir le feu sous ses pieds ; et une minute après don Luis de Bobadilla avait disparu.

Pendant ce temps, Colomb continuait tristement son voyage à travers la Véga. Il marchait lentement, et plusieurs fois, même après que son compagnon l’eut quitté, il retint son mulet par la bride, et s’arrêta, la tête penchée sur sa poitrine, perdu dans ses pensées, image vivante du chagrin. Voyageant avec cette lenteur, il était à peine arrivé au fameux pont de Piños, scène de plus d’un combat sanglant, quand le bruit du galop d’un cheval frappa son oreille. Il tourna la tête, et reconnut Luis de Bobadilla, dont le coursier avait les flancs teints de sang et le poitrail couvert d’une écume blanche.

— Joie, joie, mille fois joie, señor Colon ! s’écria le jeune homme, avant même qu’il fût assez près pour être entendu distinctement. Bénie soit la bienheureuse Marie ! Joie, Señor, joie ! ne pensez qu’à la joie !

— J’étais loin de m’attendre à vous voir, don Luis, dit le navigateur ; que signifie votre retour ?

Luis essaya de lui expliquer sa mission ; mais son empressement mit le trouble dans ses idées, et la rapidité de sa course lui ayant fait perdre haleine, il ne pouvait s’exprimer d’une manière intelligible. Colomb ne comprit qu’à demi ce qu’il lui disait.

— Et pourquoi retournerais-je dans une cour dont je fus froidement accueilli, qui hésite toujours et ne se décide jamais ? N’ai-je pas perdu assez d’années en cherchant à la déterminer à faire ce qui était son propre avantage ? Voyez ces cheveux blancs, Señor, et songez que j’ai passé un temps presque égal à toute votre vie à faire de vains efforts pour convaincre les gouvernements de cette Péninsule que mon projet est basé sur la vérité.

— Vous avez enfin réussi. — Doña Isabelle, — la reine de Castille, dont le cœur pur n’a jamais trompé, — a reconnu l’importance de votre projet, et donné sa parole royale de vous accorder son appui.