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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/147

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nous atteint que nous commençons à envisager l’autre côté de la question. Ce qui m’étonne le plus, c’est d’avoir réussi. Quant à ce Génois, c’est vraiment un homme très-extraordinaire, et au fond du cœur, je crois qu’il a eu raison d’élever si haut ses prétentions. S’il réussit, qui sera aussi grand que lui ? et s’il échoue, tout ce qu’il a demandé ne lui fera aucun bien, et ne fera pas grand mal à la Castille.

— J’ai remarqué, Saint-Angel, que lorsqu’un homme grave attache lui-même peu de valeur à son mérite, le monde est souvent porté à le prendre au mot, quoique assez disposé à rire des prétentions exagérées de la médiocrité. Au surplus, les hautes prétentions de Colon ont pu lui être utiles ; car elles ont dû faire sentir à Leurs Altesses qu’elles négociaient avec un homme qui a pleine confiance dans ses projets.

— Vous avez raison, Quintanilla ; les hommes nous estiment souvent à proportion de ce que nous paraissons nous estimer nous-mêmes, tant que nous agissons conformément à nos prétentions. Mais il y a dans ce Colon un mérite véritable qui le soutient dans tout ce qu’il dit, comme dans tout ce qu’il fait. Sagesse dans ses discours, gravité et dignité dans sa physionomie, noblesse dans sa démarche comme dans ses sentiments, il réunit tout ; en l’écoutant parler, il m’a paru quelquefois inspiré.

— Eh bien ! il a maintenant une bonne occasion pour faire voir si cette inspiration est véritable ou non. Sur ma foi, Saint-Angel, je me méfie quelquefois de la sagesse de nos déductions.

C’était ainsi que les deux amis que nous avons vus si zélés pour Colomb discutaient son caractère et ses chances de succès. Quoiqu’ils fussent du nombre de ses partisans les plus prononcés, et qu’ils eussent montré le plus vif empressement à soutenir sa cause quand elle paraissait sans espoir, maintenant qu’il allait probablement avoir les moyens de prouver la justesse de ses opinions, des doutes et des pressentiments fâcheux assiégeaient leur esprit. Telle est notre humaine nature : l’opposition éveille notre zèle, aiguise notre intelligence, stimule notre raison, et enhardit nos opinions ; tandis que, lorsque nous avons à nous demandera nous-mêmes les preuves de ce que nous avons fermement soutenu tant que nous ressentîmes une forte résistance, nous commençons à douter de la vérité de nos théories, et à craindre de trouver des preuves que nous nous sommes trompés. Même parmi les premiers disciples du Fils de Dieu, il s’en