Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/162

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trée votre amie aujourd’hui, sans quoi votre langue et vos yeux auraient subi la contrainte causée par sa présence. Mais ce que vous appelez la moralité de la bonne duègne est dans le fait celle de l’excellente et noble doña Béatrix de Cabréra, marquise de Moya, née Bobadilla, à ce que je crois.

— Eh bien ! en bien ! j’ose dire qu’il n’y a pas une grande différence entre les leçons d’une duchesse et celles d’une duègne, dans le secret du cabinet, quand il s’agit de garder une créature belle, riche et vertueuse comme vous. On fait accroire aux jeunes filles, dit-on, que nous autres cavaliers nous sommes des ogres, et que le seul moyen de gagner le paradis, c’est de penser beaucoup de mal de nous. Aussi, quand les parents ont arrangé un mariage sortable, la pauvre jeune créature est alarmée tout à coup en recevant l’ordre de se montrer en public pour épouser un de ces monstres.

— Et c’est de cette manière que vous avez été traité ! Il me semble qu’on se donne beaucoup de peine pour porter les jeunes gens des deux sexes à mal penser les uns des autres. — Mais à quoi pensons-nous, Luis ? Nous perdons des moments précieux, des moments qui ne reviendront peut-être jamais. — Que fait Colon ? — Quand doit-il quitter la cour ?

— Il est déjà parti. La reine ayant accédé à toutes ses demandes, il a quitté Santa-Fé, investi de tous les pouvoirs qui appartiennent à l’autorité royale. Si vous entendez parler d’un certain Pédro de Muños, ou Pédo Gutierrez, comme étant à la cour de Cathay, vous saurez à quoi vous devez attribuer ses folies.

— J’aimerais mieux, Luis, que vous fissiez ce voyage sous votre nom véritable que sous un nom supposé ; les déguisements de ce genre sont rarement sages, et sûrement vous ne prenez point part à cette entreprise, — ici le sang monta aux joues de Mercédès, — par des motifs dont vous ayez à rougir.

— C’est le désir de ma tante. Quant à moi, j’aurais attaché vos couleurs à mon casque, vos emblèmes sur mon bouclier, et j’aurais fait savoir, et auprès et au loin, que don Luis de Llera se rendait à la cour du Cathay pour défier toute la chevalerie du pays de montrer une jeune fille aussi belle et aussi vertueuse que vous.

— Nous ne sommes plus dans le siècle des chevaliers errants, sire chevalier, répondit Mercédès en riant, quoique chaque mot qui tendait à prouver le sincère et entier dévouement de son