Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cela est vrai, voisin Martin Alonzo, dit le prieur ; si vrai qu’on pourrait le mettre dans une homélie, sans nuire à la religion. L’homme est un animal raisonnable et comptable de ses actions, mais il ne convient pas qu’il soit un animal pensant. En ce qui concerne l’Église, dont les intérêts sont confiés à ses ministres, que peuvent avoir à dire de ses affaires les gens ignorants ou mal instruits ? Et en ce qui concerne la navigation, il me semble qu’un seul pilote vaut mieux que cent. Quoique l’homme soit un animal doué de raison, il y a beaucoup d’occasions où il est tenu d’obéir sans raisonner ; et il s’en trouve fort peu où il doive lui être permis de raisonner sans obéir.

— Tout cela est vrai, digne père et excellent voisin ; si vrai que vous ne trouverez personne, du moins dans Palos, qui voulût le nier. Et puisque nous en sommes sur ce sujet, je puis vous dire que l’Église seule a suscité plus d’obstacles au succès du señor amirante que tout ce qui a pu lui nuire d’ailleurs. Toutes les vieilles femmes du port crient que c’est une hérésie de dire que la terre est ronde, et que cela est contraire à la Bible ; et s’il faut dire toute la vérité, il y a plusieurs frères de ce couvent même qui les soutiennent dans cette opinion. Il paraît contre nature à un homme qui n’a jamais quitté la terre, et qui a été plus souvent dans les vallées que sur les montagnes, qu’on lui dise que la terre est ronde ; et quoique j’aie eu bien des occasions de voir l’océan, c’est une idée que je n’adopte pas aisément moi-même, si ce n’était le fait que lorsqu’on est sur mer, la première chose qu’on voit d’un navire ou d’une ville dans l’éloignement, ce sont les hautes voiles de l’un et les croix qui surmontent les clochers de l’autre, quoique ces voiles et ces croix soient les plus petits objets d’un navire ou d’une église. Nous autres marins, nous avons une manière d’inspirer du courage à nos compagnons, et vous autres, hommes d’église, vous en avez une toute différente : maintenant j’ai dessein de m’employer à faire entrer des idées plus sages dans la tête des marins de Palos, et j’espère, révérend prieur, que vous mettrez en œuvre ceux de l’Église pour faire taire les femmes, comme pour calmer les scrupules des plus zélés de vos frères.

— Dois-je conclure de cela, señor Pinzon, demanda Colomb, que vous ayez dessein de prendre un intérêt direct et plus sérieux qu’auparavant au succès de mon entreprise ?

— Oui, Señor, c’est mon intention, si nous pouvons nous en-