Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/214

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Notre vie est sous la garde de Dieu. Ne doute pas que tu ne revoies ton mari sain et sauf et en bonne santé, lorsqu’il aura vu le Cathay et coopéré à la découverte de ce pays.

— Ah, Señor ! quand cela arrivera-t-il ? s’écria Monica, qui, en dépit de son courage factice et de ses sentiments religieux, ne pouvait résister à l’impulsion de sa tendresse.

— Quand Dieu le permettra, ma bonne. Quel est ton nom ?

— Monica, señor amirante — et celui de mon mari est Pépé, — et notre enfant, ce pauvre enfant qui va se trouver sans père, a reçu au baptême le nom de Juan. Car nous n’avons pas de sang maure dans nos veines, nous sommes de pur sang espagnol, et je prie Votre Excellence de s’en souvenir dans les occasions qui pourront exiger un service plus dangereux que de coutume.

— Tu peux compter que je veillerai à la sûreté du père de Juan, répondit l’amiral en souriant, quoique une larme brillât dans ses yeux. Et moi aussi je laisse derrière moi des êtres qui me sont aussi chers que mon âme, et entre autres un fils qui n’a plus de mère. S’il arrivait quelque malheur à notre bâtiment, il serait orphelin, tandis qu’il resterait du moins à ton Juan les soins et l’affection de celle qui lui a donné le jour.

— Mille pardons, Señor, dit Monica, touchée de l’émotion qu’annonçait le son de la voix de Colomb ; nous sommes égoïstes, et nous oublions que les autres ont aussi leurs chagrins, quand nous sentons les nôtres trop vivement. Partez, au nom de Dieu, et exécutez sa sainte volonté. — Emmenez mon mari avec vous ; je voudrais seulement que le petit Juan fût assez âgé pour l’accompagner.

Monica n’en put dire davantage. Elle essuya les larmes qui coulaient de ses yeux, et reprit les rames. Le petit esquif s’éloigna lentement, comme s’il eût pu sentir la répugnance avec laquelle les mains de sa conductrice le dirigeaient vers la terre. Le court dialogue qui vient d’être rapporté avait eu lieu à voix assez haute pour être entendu de tous ceux qui étaient peu éloignés des interlocuteurs ; et quand Colomb détourna ses yeux de la barque, il vit que beaucoup d’hommes de son équipage étaient montés sur les agrès et sur les vergues pour écouter avec attention tout ce qui se disait. Précisément en cet instant on levait l’ancre de la Santa-Maria, et le cap du navire commença à prendre la direction du vent. Un instant après on entendit battre la grande voile carrée de misaine, que les caravelles portaient alors ; et cinq