Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/224

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que notre voyage doit nous conduire de l’autre côté du monde, j’aurais été bien fâché de manquer une si bonne occasion.

— Tu es chrétien, Sancho, et tu désires contribuer à planter la croix dans les pays des païens ?

— Señor, — Votre Excellence, — don amirante, — peu importe à Sancho quelle est la cargaison du navire, pourvu qu’il n’exige pas souvent le service des pompes et qu’il soit pourvu de bon ail. Si je ne suis pas un chrétien très-dévot, la faute en est à ceux qui m’ont trouvé à la porte du chantier, car l’église n’était qu’à deux pas. Je sais que Pépé que voilà est chrétien, car je l’ai vu entre les bras du prêtre sur les fonts baptismaux ; et je ne doute pas qu’il ne se trouve à Moguer des vieillards qui peuvent en dire autant de moi. Dans tous les cas, noble amiral, je puis prendre sur moi de dire que je ne suis ni juif ni musulman.

— Sancho, tu as en toi ce qui annonce un marin aussi hardi qu’habille.

— Quant à ces deux qualités, señor don Colon, que les autres en parlent ! quand la tempête viendra, vos propres yeux pourront juger si je possède la seconde ; et quand cette caravelle arrivera sur les limites de la terre, port pour lequel bien des gens pensent qu’elle est frétée, vous verrez qui est en état ou non de regarder le vide sans trembler.

— C’en est assez ! je vous compte, toi et Pépé, au nombre de mes plus fidèles compagnons.

En prononçant ces paroles, Colomb se retira, reprenant l’air de dignité grave qui était l’expression ordinaire de ses traits, et qui assurait son autorité en imprimant le respect. Au bout de quelques instants, il descendit avec Luis dans sa chambre.

— Je suis surpris, Sancho, dit Pépé quand il se trouva sur la dunette seul avec son compagnon, que tu donnes tant de liberté à ta langue, en présence d’un homme à qui la reine a confié son autorité ? Ne crains-tu pas d’offenser l’amiral ?

— Voilà ce que c’est que d’avoir une femme et un enfant ! Ne peux-tu sentir la différence qu’il y a entre ceux qui ont eu des ancêtres et qui ont des descendants, et un homme qui ne possède rien au monde que son nom ? Le señor amirante est, ou un très-grand homme, choisi par la Providence pour frayer une route dans les mers inconnues dont il parle, ou un Génois affamé, qui nous conduit il ne sait où, afin de pouvoir manger, boire et dormir avec honneur, tandis que nous autres, nous marchons sur