Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/235

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tinctement ; je l’ai vue sous le ciel le plus serein, et dans des circonstances où il n’est pas possible de se méprendre beaucoup sur sa forme et ses dimensions. Je me souviens d’avoir vu un soir le soleil se coucher derrière une de ses montagnes.

— C’est un témoignage direct, et de nature à devoir être respecté par un navigateur. Cependant, Señor, je pense que ce que vous croyez avoir vu n’est qu’une illusion atmosphérique.

— Impossible ! impossible ! s’écria-t-on comme en chœur ; des centaines de personnes voient l’île de Saint-Brandan paraître tous les ans, et disparaître ensuite d’une manière aussi soudaine et aussi merveilleuse.

— C’est en cela que consiste votre méprise, nobles dames et braves cavaliers. Vous voyez le pic de Ténériffe toute l’année ; et quiconque veut faire une croisière d’une centaine de milles au nord ou au sud, à l’est ou à l’ouest de cette montagne, continuera à la voir tous les jours, à l’exception de ceux où l’état de l’atmosphère pourra l’en empêcher. La terre que Dieu a créée stationnaire, restera éternellement immobile, à moins qu’elle ne soit arrachée de sa place par quelque grande convulsion également ordonnée par les lois de sa providence.

— Tout cela peut être vrai, et l’est sans doute, Señor ; mais toutes les règles ont des exceptions. Vous ne nierez pas que Dieu ne gouverne le monde par des voies mystérieuses, et que ses fins ne soient pas toujours visibles aux yeux des hommes. S’il en était autrement, pourquoi a-t-il été permis aux Maures d’être si longtemps maîtres de l’Espagne ? pourquoi les infidèles sont-ils encore en ce moment en possession du Saint-Sépulcre ? pourquoi nos souverains sont-ils restés si longtemps sourds à vos demandes et à vos prières pour qu’il vous fût permis de porter la croix et leurs bannières dans le Cathay où vous allez en ce moment ? Qui sait si ces apparitions de l’île de Saint-Brandan ne sont pas un signe destiné à encourager un homme tel que vous, un homme décidé à exécuter des desseins plus grands encore que celui d’y aborder ?

Colomb était naturellement enthousiaste ; mais son enthousiasme prenait sa source dans les mystères reconnus de la religion, et dans les choses incompréhensibles, il ne cherchait d’autre raison de croire que celle qui les attribue à l’exercice d’une sagesse infinie. Comme la plupart de ses contemporains, il ajoutait foi aux miracles modernes, et comptait sur l’efficacité des