CHAPITRE XVI.
es sentiments qui occupèrent nos aventuriers la nuit suivante
différèrent considérablement entre eux. Dès que Sancho
eut reçu sa récompense, il ne se fit plus scrupule de faire part
de tout ce qu’il savait à quiconque était disposé à l’écouter, et
longtemps avant que Colomb fût de retour à son bord, la nouvelle
s’était répandue de bouche en bouche, et toute la petite
escadre était informée des desseins des Portugais. Cette rumeur
fit naître chez un grand nombre de matelots l’espoir que ceux qui
s’étaient mis à la poursuite de la flottille réussiraient à faire
avorter l’expédition ; car tout leur semblait préférable au destin
dont ils se figuraient qu’un tel voyage les menaçait. Mais tel est
l’effet de la rivalité, que la plus grande partie des équipages
attendaient avec impatience qu’on mît à la voile, quand ce n’eût
été que pour montrer la supériorité de leurs navires.
Colomb était en proie à la plus vive inquiétude, car on eût dit qu’après tant de souffrances et de délais la fortune s’apprêtait à lui arracher la coupe des mains à l’instant où il l’approchait de ses lèvres. Il passa la nuit dans une anxiété cruelle et fut le premier levé le lendemain matin.
Chacun fut sur le qui vive dès le point du jour ; et comme les préparatifs avaient été achevés la nuit précédente, lorsque le soleil fut levé, les trois bâtiments prenaient de l’aire, la Pinta en tête, comme à l’ordinaire. Il faisait peu de vent, et la petite escadre avait à peine un sillage suffisant pour gouverner ; mais chaque instant devenait très-précieux, et l’on mit le cap à l’ouest. Dans le cours de la matinée, une caravelle passa près de la flottille espagnole, après avoir été en vue durant plusieurs heures, et l’amiral la héla. Elle venait de l’île de Fer, l’île du groupe située