Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tu as à me dire, et songe à être discret relativement à ce jeune seigneur.

— Vos désirs sont une loi pour moi, Señor. — Eh bien ! don Christophe, une de nos habitudes à nous autres vieux marins, sur le pont pendant la nuit, c’est de contempler une ancienne et constante amie, l’étoile polaire ; et pendant que je m’en occupais il y a une heure, je remarquai que ce guide fidèle et la boussole d’après laquelle je gouvernais, contaient deux histoires différentes.

— En es-tu bien certain ? demande Colomb avec une promptitude et une énergie qui prouvaient l’intérêt qu’il prenait à cette circonstance.

— Aussi certain qu’on peut l’être, Señor, lorsque l’on a passé cinquante ans à examiner l’étoile polaire, et quarante à consulter la boussole. Mais Votre Excellence n’a pas besoin de s’en rapporter à mon ignorance. L’étoile est encore où Dieu l’a placée ; vous avez une boussole à côté de vous, et vous pouvez comparer l’une avec l’autre.

Colomb avait déjà songé à faire cette comparaison, et à l’instant où Sancho cessa de parler, lui et Luis examinèrent la boussole avec une vive curiosité. La première idée de l’amiral, — et c’était la plus naturelle, — fut de croire que l’aiguille de l’instrument qu’il avait sous les yeux était défectueuse, ou du moins influencée par quelque cause étrangère ; mais une observation attentive l’eut bientôt convaincu que la remarque de Sancho était juste. Il vit avec surprise et intérêt que l’exactitude habituelle et l’œil expérimenté du vieux marin avaient découvert si promptement un changement si extraordinaire. Il était tellement commun aux marins de comparer leurs boussoles avec l’étoile polaire, — que l’on supposait ne jamais changer de position dans les cieux, en tant que cette position avait rapport à l’homme, — qu’aucun marin expérimenté tenant le gouvernail à l’arrivée de la nuit ne pouvait manquer de remarquer ce phénomène.

Après des observations réitérées faites avec ses deux boussoles, — car il en avait deux pour son usage particulier, l’une sur la dunette, et l’autre dans sa chambre, — et après avoir eu recours aux deux qui étaient dans l’habitacle, Colomb fut obligé de s’avouer à lui-même que les quatre boussoles variaient également de près de six degrés de leur direction ordinaire. Au lieu de se diriger vers le vrai nord, ou du moins vers un point de l’horizon