Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/336

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nous livrons pas à des idées si mélancoliques. Mille accidents peuvent avoir jeté tous ces objets dans la mer en même temps ; et une fois dans l’eau, ils y auraient flotté ensemble pendant un an, à moins qu’ils n’eussent été séparés par la violence du vent ou des vagues. Mais, quoi qu’il en soit, ils sont pour nous des preuves infaillibles, non seulement que nous sommes près de la terre, mais que cette terre est habitée par des hommes.

Il serait difficile de décrire l’enthousiasme qui régna à bord des trois bâtiments. Jusqu’alors ils n’avaient rencontré que des oiseaux, des poissons et des herbes, signes fréquemment trompeurs, mais ils avaient enfin des preuves irrésistibles qu’ils se trouvaient dans le voisinage de leurs semblables. À la vérité, des objets de cette nature pouvaient, avec le temps, être venus en cet endroit même d’une aussi grande distance que celle que la petite flotte avait parcourue ; mais il n’était pas probable qu’ils eussent dérivé si longtemps sans se séparer. Ensuite les baies de la branche de rosier étaient fraîches, le bois de l’arbre était d’une espèce inconnue, et la canne — si tel était l’usage du bâton auquel on avait donné ce nom — était sculptée d’une manière tout à fait inusitée en Europe. Ces différents objets passèrent de main en main jusqu’à ce que chacun dans l’équipage les eût examinés, et tous les doutes s’évanouirent devant cette confirmation inattendue des prédictions de l’amiral. Pinzon retourna sur son bord ; on déferla les voiles, et l’on continua à gouverner à l’ouest-sud-ouest jusqu’au coucher du soleil.

Quelques-uns des esprits les plus timorés éprouvèrent pourtant encore une sorte de désappointement quand ils virent, pour la trente-quatrième fois depuis leur départ de Gomère, le soleil disparaître sous un horizon d’eau. Presque tous les yeux se fixèrent avec intérêt sur le couchant, et, quoique le ciel fût couvert de nuages, nulle illusion d’optique ne trompa les yeux ; l’on n’y vit que les formes ordinaires que prennent les vagues à la chute du jour.

Le vent fraîchit à la fin de la soirée, et Colomb, ayant réuni ses bâtiments comme il le faisait tous les soirs, donna de nouveaux ordres pour la route à suivre. Depuis deux ou trois jours on avait principalement gouverné à l’ouest-sud-ouest, et Colomb, qui était persuadé que sa route la plus certaine et la plus courte, d’une terre à l’autre, était de traverser l’Océan, s’il était possible, en suivant un seul parallèle de latitude, désirait reprendre sa