Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/342

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si vulgaires. Peut-être n’y avait-il un seul homme parmi eux qui ne fût pénétré d’un sentiment de confiance absolue en la divine Providence, et de soumission entière à sa volonté.

Colomb gardait le silence. Des émotions de la nature de celle qu’il éprouvait se traduisent rarement par des paroles ; mais son cœur débordait de reconnaissance et d’amour. Il se croyait à l’extrémité de l’orient, et pensait avoir atteint cette partie du monde en faisant voile à l’occident. Il est tout naturel de supposer qu’il se figurait que le rideau du jour, en se levant, allait offrir à ses yeux quelqu’une de ces scènes de magnificence orientale si éloquemment décrites par les Polo et les autres voyageurs qui avaient pénétré dans ces régions lointaines et inconnues. Le peu qu’il avait vu lui prouvait suffisamment que l’île reconnue et celles qu’il pourrait trouver dans ces parages étaient habitées, mais tout le reste était encore conjecture et incertitude. Cependant on respirait un air parfumé, et deux des sens de l’homme concouraient déjà ainsi à proclamer le succès du voyage.

Le jour, si impatiemment désiré, était sur le point d’éclore. Le ciel se couvrit à l’est des belles teintes qui précèdent le lever du soleil. À mesure que la lumière se répandait sur le bleu foncé de l’Océan, les contours de l’île devenaient plus distincts, et l’on voyait à sa surface des rochers, des vallées, des arbres, sortir des ténèbres ; en un mot, toute la scène se revêtir du coloris grisâtre et solennel du matin. Enfin les rayons du soleil s’étendirent sur l’île, et en dorèrent les points les plus élevés, tandis qu’ils en plongeaient d’autres dans l’ombre. On reconnut alors que la terre qu’on venait de découvrir était une île de peu détendue, bien boisée, et couverte d’une belle verdure. Le sol en était bas, mais elle offrait un aspect assez agréable pour sembler un paradis à des hommes qui avaient très-sérieusement douté que leurs yeux revissent jamais la terre. Ce spectacle cause toujours un nouveau plaisir aux marins qui ont été longtemps sans apercevoir autre chose que le ciel et l’eau ; mais ce plaisir était triplé pour des hommes qui non seulement sortaient des abîmes du désespoir, mais qui voyaient renaître leurs plus brillantes espérances. D’après la position de cette île, Colomb ne douta pas qu’il n’eût passé près d’une autre pendant la nuit, — celle sur laquelle il avait vu une lumière ; — et par la suite, d’après la route qu’il avait suivie, cette conjecture est presque devenue une certitude.