Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/350

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alors près d’une pointe qu’on disait voisine de la résidence du grand cacique de toute cette partie de l’île. Ce prince, dont le nom était Guacanagari, suivant l’orthographe des Espagnols, avait sous son commandement plusieurs caciques tributaires ; et d’après ce qu’en disaient ses sujets, autant qu’on pouvait les comprendre, c’était un monarque fort aimé. Le 22, pendant que les deux bâtiments étaient dans le port d’Acul, où ils avaient jeté l’ancre deux jours auparavant, on y vit entrer une grande pirogue. Bientôt après on annonça à l’amiral que cette pirogue amenait un ambassadeur qui lui apportait des présents de la part de son maître, et qui était chargé de l’inviter à faire avancer ses bâtiments à une lieue ou deux à l’est, et à venir mouiller à la hauteur de la ville où ce prince demeurait. Le vent ne le permettant pas alors, un messager fut envoyé avec une réponse convenable, et l’ambassadeur se prépara à repartir. Fatigué de son oisiveté, désirant mieux voir le pays, et poussé par son goût naturel pour les aventures, don Luis, qui s’était assez promptement lié d’amitié avec un jeune homme nommé Mattinao, venu avec l’ambassadeur demanda la permission de l’accompagner et de partir sur la pirogue. Colomb n’y consentit qu’avec beaucoup de répugnance, le rang et l’importance de notre héros lui faisant redouter les risques d’une trahison ou d’un accident ; mais les importunités de Luis triomphèrent de la répugnance de l’amiral. Il partit donc après avoir reçu force injonctions d’être prudent, et de ne jamais oublier que, s’il lui arrivait quelque malheur, c’était sur lui, Colomb, que le blâme en retomberait. Par précaution, Sancho Mundo reçut l’ordre, de suivre Luis dans cette aventure chevaleresque, en qualité d’écuyer.

Comme on n’avait vu entre les mains des insulaires aucune arme plus formidable qu’une flèche sans pointe, le jeune comte de Llera ne voulut pas se charger de sa cotte de mailles ; il ne prit que son bon sabre, dont la trempe avait été éprouvée sur plus d’un casque et d’une cuirasse maures, et un léger bouclier. On lui avait présenté une arquebuse, mais il la refusa comme une arme qui ne convenait pas à un chevalier, et qui indiquerait une méfiance que la conduite des naturels du pays ne devait pas exciter. Sancho fut moins scrupuleux, et prit cette arme. Pour empêcher que l’équipage ne remarquât une concession que l’amiral sentait être une infraction à ses propres règlements, Luis et son compagnon se rendirent à terre, et descendirent dans la