Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/428

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— Ces sauvages mangent-ils de la viande aussi remarquable que leur pain ? demanda un Cerda.

— Sans doute, noble Señor, car ils se mangent les uns les autres. Il est vrai que ni don Christophe ni moi nous n’avons jamais été invités à un festin semblable ; car je suppose qu’ils étaient bien convaincus qu’une telle chair ne nous conviendrait pas. Mais nous avons eu beaucoup d’informations sur ce sujet, et d’après les calculs les plus exacts que j’aie pu faire, je pense que la consommation en hommes dans l’île de Bohio doit être à peu près égale à celle que l’on fait en bœufs dans notre pays.

Vingt exclamations de dégoût s’élevèrent à ces paroles, et Pierre Martir secoua la tête en homme qui doutait de la vérité de cette histoire. Mais comme il ne s’était pas attendu à trouver un philosophe ou un savant dans un homme du rang de Sancho, il n en continua pas moins la conversation.

— Connaissez vous quelque chose relativement aux oiseaux rares que l’amiral a présentés aujourd’hui à Leurs Altesses ?

— Oui sans doute, et surtout les perroquets. Ce sont des oiseaux très-sensés, et je ne doute pas qu’ils ne pussent répondre d’une manière satisfaisante à quelques-unes des questions que bien des gens me font ici, à Barcelone.

— Je vois que vous êtes un plaisant, señor Sancho, et j’aime vos plaisanteries, dit le savant en souriant. Laissez-vous aller au cours de votre imagination, et du moins amusez-nous, — si vous ne nous instruisez pas.

— San Pédro sait que je ferais tout au monde pour vous obliger, Señor ; mais je suis né avec un tel amour de la vérité dans le cœur, que je ne sais pas enjoliver une histoire. Ce que je vois, je le crois ; et ayant été dans les Indes, je ne pouvais fermer les yeux devant toutes leurs merveilles. Par exemple, nous avons traversé une mer d’herbes, miracle qu’on ne voit pas tous les jours, car je ne doute nullement que tous les diables n’eussent travaillé à les empiler pour nous empêcher de porter la croix aux pauvres païens qui demeurent de l’autre côté de l’eau. Si nous avons traversé cette mer, nous le devons à nos prières plus qu’à nos voiles.

Les jeunes gens regardèrent Pierre Martir, pour voir ce qu’il pensait de cette théorie ; mais le savant, s’il avait une teinte de la superstition de son siècle, n’était pourtant pas disposé à croire tout ce qu’il plairait à Sancho d’affirmer, quoiqu’il vînt de faire un voyage aux Indes.