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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/152

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DEERSLAYER

de ce qu’elle avait à dire ; mais elle ne reçut aucune réponse.

Le bruit des broussailles et le bruissement des feuilles annoncèrent évidemment que Hetty avait quitté le rivage, et qu’elle s’était enfoncée dans la forêt. Il n’eût servi à rien de la suivre, puisqu’il eût été presque impossible de la trouver à cause de l’obscurité et des fourrés épais que les bois offraient de toutes parts, sans parler du danger qu’ils auraient eux-mêmes couru de tomber entre les mains de leurs ennemis. Après une courte et triste discussion, la voile fut donc établie de nouveau, et l’arche poursuivit sa route vers l’endroit où on l’amarrait d’habitude, tandis que Deerslayer se félicitait d’avoir retrouvé la pirogue, et combinait ses plans pour le lendemain. Le vent s’éleva au moment où ils quittèrent la pointe, et en moins d’une heure ils arrivèrent au château. Là, ils trouvèrent toutes choses telles qu’ils les avaient laissées, et pour y rentrer ils eurent à faire tout le contraire de ce qu’ils avaient fait pour en sortir. Judith coucha seule cette nuit, et elle arrosa son oreiller de ses larmes, en pensant à la créature innocente et jusqu’alors négligée qui avait été sa compagne depuis leur enfance. Des regrets amers s’élevèrent dans son esprit, pour plus d’un motif, et ce ne fut qu’après de longues heures et sur la fin de la nuit que ses souvenirs se perdirent dans le sommeil. Deerslayer et le Delaware couchèrent sur l’arche, où nous les laisserons jouir du sommeil profond des hommes honnêtes, bien portants et intrépides, pour retourner à la jeune fille que nous avons laissée au milieu de la forêt.

En quittant le rivage, Hetty s’avança dans les bois sans hésiter, agitée par la crainte d’être suivie. Heureusement cette route était la meilleure qu’elle pût prendre pour effectuer son projet, puisque c’était la seule qui l’éloignât de la pointe. La nuit était si profondément obscure sous les branches des arbres, que sa marche fut lente, et tout à fait abandonnée au hasard après ses premiers pas. La conformation du sol l’empêcha cependant de dévier de la ligne qu’elle désirait suivre. D’un côté, elle fut bientôt bornée par la pente de la colline, tandis que de l’autre elle avait le lac pour lui servir de guide. Pendant deux heures, cette jeune fille candide et faible d’esprit se fatigua dans le labyrinthe de la forêt ; tantôt se trouvant tout près du rivage qui arrêtait l’eau, et tantôt s’efforçant de gravir une hauteur qui l’avertissait de ne pas aller plus loin dans cette direction, puisqu’elle formait nécessairement un angle droit avec celle qu’elle voulait suivre. Souvent son pied glissa, et elle tomba plusieurs fois, mais sans se faire mal ; elle éprouva enfin une telle lassitude qu’elle n’eut pas la force de faire un pas plus