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OU LE TUEUR DE DAIMS.

furent mises en pièces, et dont les débris furent dispersés de tous côtés. Ils en vinrent même à se quereller et à se faire des reproches avec fureur. Il en serait peut-être résulté des suites sérieuses, si le Delaware n’était intervenu pour leur représenter le danger d’une conduite aussi imprudente, et la nécessité de retourner à l’arche. Cette observation mit fin à la dispute, et quelques minutes après ils se mirent à ramer vers l’endroit où ils croyaient trouver le scow.

Nous avons dit que Judith vint se placer auprès de Deerslayer, bientôt après le départ des aventuriers. Pendant quelques instants la jeune fille garda le silence, et le jeune chasseur ignora laquelle des deux sœurs s’était approchée de lui ; mais il reconnut bientôt la voix riche et animée de l’aînée, qui donna l’essor à ses secrètes pensées.

— C’est une terrible existence pour deux femmes, Deerslayer ! s’écria-t-elle. Plût au ciel que j’en pusse voir la fin !

— Je n’y vois rien de si terrible, Judith, répondit-il ; c’est à peu près suivant qu’on en use ou qu’on en abuse. — Que voudriez-vous à sa place ?

— Je serais mille fois plus heureuse si je vivais avec des êtres civilisés, — là où se trouvent des fermes, des temples et des maisons bâties par des mains chrétiennes, et où, la nuit, mon sommeil serait doux et tranquille ! Une demeure dans le voisinage des forts serait mille fois préférable aux lieux désolés que nous habitons.

— Non, Judith, je ne puis convenir trop légèrement de la vérité de tout cela. Si les forts sont utiles pour tenir les ennemis à une certaine distance, ils renferment parfois eux-mêmes des ennemis qu’on ne trouverait pas ailleurs. Je ne pense pas qu’il vous serait avantageux, non plus qu’à Hetty, d’habiter dans un pareil voisinage, et s’il faut vous dire ma pensée, je crains que vous n’en soyez déjà trop près ici. — Deerslayer continua à parler du ton ferme et sérieux qui le caractérisait, car l’obscurité l’empêchait de voir l’extrême rougeur des joues de la jeune fille, qui faisait tous ses efforts pour empêcher le bruit de sa respiration presque étouffée. — Quant aux fermes, elles ont leur utilité, et il est des gens qui aiment à y passer leur vie ; mais quels plaisirs un homme peut-il chercher dans les défrichements, qu’il ne puisse trouver doublement dans la forêt ? S’il veut de l’air, de l’espace, de la clarté, les percées et les rivières lui en fourniront, et en outre, il se trouve ici des lacs pour ceux dont les désirs sont plus grands. Mais où trouver dans un défrichement de l’ombrage, des sources riantes, des ruisseaux, des cascades, de vénérables arbres âgés de mille ans ? Vous ne les y