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DEERSLAYER

trouvez plus, mais vous voyez leurs souches marquant la terre comme des pierres sépulcrales dans un cimetière. Il me semble que ceux qui habitent de semblables lieux doivent penser sans cesse à leur propre fin et au dépérissement universel ; non pas au dépérissement qu’entraînent la nature et le temps, mais à celui qui résulte des ravages et de la violence. Quant aux temples, ils sont utiles, je suppose, autrement les honnêtes gens ne voudraient pas payer leur entretien, mais ils ne sont pas absolument nécessaires. On les appelle les temples du Seigneur ; mais, Judith, la terre entière est un temple du Seigneur pour ceux dont l’esprit est droit. Ni forts ni temples ne rendent les hommes plus contents d’eux-mêmes. En outre, tout est contradiction dans les colonies, tandis que tout est d’accord dans les bois. Les forts et les temples vont presque toujours ensemble, et cependant ils se contredisent ouvertement ; les temples étant pour la paix, et les forts pour la guerre. Non, non — parlez-moi des forts du désert, c’est-à-dire des arbres, et des temples en feuillage élevés par la main de la nature au sein de la solitude.

— La femme n’est pas faite pour des scènes semblables à celles que vous voyez ici, Deerslayer ; et ces scènes n’auront pas de fin, tant que durera cette guerre.

— Si vous parlez de femmes blanches, je suis porté à croire que vous n’êtes pas fort éloignée de la vérité ; mais quant aux rouges, ces sortes d’afflictions sont précisément ce qui leur convient. Rien maintenant ne rendrait plus heureuse Hist, la jeune fille que Chingachgook doit prendre pour femme, que de savoir qu’il est en ce moment à rôder autour de ses ennemis naturels pour chercher à enlever quelque chevelure.

— Assurément, Deerslayer, elle ne peut être femme sans éprouver de l’inquiétude en songeant que l’homme qu’elle aime est en danger.

— Elle ne songe pas au danger, Judith, mais à l’honneur, et quand on est animé par un pareil sentiment, croyez-moi, il y a peu de place pour la crainte. Hist est une créature gaie, bonne, douce et aimable, mais elle aime autant la gloire qu’aucune fille delaware que j’aie jamais connue. Elle doit rejoindre le Serpent dans une heure d’ici, sur la pointe où Hetty a débarqué, et sans nul doute cette démarche l’inquiète comme elle inquiéterait toute autre femme ; cependant elle ne serait que plus heureuse, si elle savait que son amant est maintenant à guetter un Mingo pour en avoir la chevelure.

— Si vous le croyez réellement, Deerslayer, je ne suis point étonnée que vous attachiez tant d’importance à ce que vous appelez les dons de la Providence ou de la nature. Quant à moi, je suis sûre