Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/116

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Les ombres du soir commençaient obscurcir la vallée, lorsque ce détachement y rentra du côté du sud, marchant au petit pas sur une ligne étendue. Lawton était en avant avec son lieutenant. Un jeune cornette placé derrière eux fredonnait un air, tout en songeant au plaisir qu’il goûterait bientôt à s’étendre sur une botte de paille, après une journée si fatigante.

— Ainsi donc elle vous a frappé comme moi, dit le capitaine à son lieutenant. Je n’ai eu besoin que de la voir un instant pour la reconnaître : c’est une de ces figures qu’on n’oublie pas. Sur ma foi, Tom, elle fait honneur au goût du major.

— Elle en ferait à tout le corps, dit le lieutenant avec feu. De pareils yeux bleus pourraient aisément engager un homme à suivre des occupations plus douces que le métier que nous faisons ; et sur ma foi, moi-même, une si jolie fille me ferait quitter le sabre et la selle pour l’aiguille à faire des reprises et la trousse de paille.

— Mutinerie, Monsieur ! mutinerie ! s’écria Lawton. Quoi ! vous, Tom Mason, vous oseriez vous déclarer le rival du major Dunwoodie, si élégant, si admiré, et qui plus est, si riche ! Vous, simple lieutenant de cavalerie, ne possédant qu’un cheval qui n’est pas des meilleurs, vous dont le capitaine est aussi dur qu’un bloc de chêne et a autant de vies qu’un chat !

— Sur ma foi, dit Mason souriant à son tour, nous pourrons bien voir le bloc se fendre et Raminagrobis perdre toutes ses vies, si vous faites souvent des charges pareilles à celle de ce matin. Combien de fois voudriez-vous avoir le crâne frotté comme vous l’avez eu aujourd’hui ?

— Ne m’en parlez pas, mon cher Mason ; la seule pensée m’en donne mal à la tête, dit le capitaine en remuant les épaules. C’est ce que j’appelle anticiper la nuit.

— La nuit de la mort ?

— Non, Monsieur, la nuit qui suit le jour. J’ai vu des milliers d’étoiles qui auraient dû se cacher devant leur maître souverain, le soleil. Je crois que vous ne devez le plaisir de m’avoir avec vous encore pour quelque temps qu’au casque épais que je porte.

— J’ai sans doute une grande obligation au casque, mais j’admets que le casque ou le crâne doivent être d’une heureuse épaisseur.

— Allons, allons, Tom, vous êtes un railleur privilégié, ainsi, je ne me fâcherai pas. Mais je crois que le lieutenant de Singleton