Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/306

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ainsi, Frances rougissait en songeant à la source où elle avait puisé ses opinions.

— C’est ce que j’ai entendu dire par Harvey à son père, qui est maintenant dans le tombeau, dit Katy en baissant la voix, car j’ai écouté plus d’une fois leurs conversations, et des conversations dont vous ne vous faites pas l’idée, miss Fanny. Mais, pour dire la vérité, Harvey est un homme si étrange ! Il est comme le vent, comme dit le bon livre : on ne sait ni d’où il vient ni où il va.

— Il court sur lui des bruits que je serais bien fâchée d’être obligée de croire, dit Frances en la regardant avec un intérêt tout nouveau, et d’un air qui annonçait le désir d’en apprendre davantage.

— Ah ! ce sont des faussetés s’écria Katy ; Harvey n’est pas plus ligué que vous et moi avec Belzébut ; s’il lui avait vendu son âme, il aurait eu soin de se faire mieux payer, quoiqu’il soit vrai qu’il n’a jamais pris garde à ses intérêts.

— Ce n’est pas ce dont je le soupçonne, dit Frances en souriant, mais ne s’est-il pas vendu à un prince de la terre bon et aimable, j’en conviens, mais trop attaché aux intérêts de son pays pour pouvoir être juste envers le nôtre ?

— Au roi d’Angleterre ? Eh bien ! miss Frances, votre frère, qui est en prison, n’est-il pas lui-même au service du roi George ?

— C’est la vérité, mais il sert ouvertement et non en secret.

— On dit pourtant que c’est un espion, et un espion ne vaut pas mieux qu’un autre.

— C’est une calomnie ! s’écria Frances en rougissant d’indignation ; mon frère est incapable de jouer un rôle si vil ; ni l’ambition ni l’intérêt ne pourraient l’y déterminer.

— Bien certainement, dit Katy un peu déconcertée par le ton de sa jeune maîtresse, si quelqu’un fait une besogne il faut qu’il en soit payé. Ce n’est pas qu’Harvey soit intéressé. Je réponds bien que s’il y avait compte à rendre, le roi George se trouverait son débiteur.

— Vous convenez donc qu’il a des liaisons avec l’armée anglaise ? J’avoue qu’il y a des instants où je pensais différemment.

— Mon Dieu ! miss Frances, Harvey est un homme sur lequel on ne peut faire aucun calcul. Quoique j’aie vécu neuf ans chez son père, je n’ai pu savoir ni ce qu’il fait ni ce qu’il pense. Le jour que Bourgoyne fut pris, il arriva tout essoufflé et s’enferma