trop souvent, il était plus honteux d’une infortune dont il n’était pas coupable, qu’il ne l’eût été d’un crime dont il aurait été strictement responsable aux yeux de Dieu et des hommes. Les connaissances du vieux baronnet en jurisprudence et en latin firent sourire sir Gervais, et se tournant d’un air de bonne humeur vers son ami le contre-amiral, avec lequel il désirait rétablir ses relations amicales, il lui dit avec un ton d’ironie bien caché :
— Sir Wycherly doit avoir raison, Bluewater. Un enfant supposé n’est personne, — c’est-à-dire n’est pas la personne qu’il prétend être, ce qui est en substance n’être personne. Or celui qui n’est fils de personne est évidemment filius nullius. Et maintenant, ayant établi les principes qui régissent le cas, je demande une trêve jusqu’à ce que nous ayons nos noisettes ; car pour M. Thomas Wychecombe, il faut qu’il renonce à croquer la sienne, du moins pour aujourd’hui. Je suppose qu’il y a trop de sujets loyaux dans le nord pour cela.
Quand deux hommes se connaissent aussi bien que se connaissaient les deux amiraux, ils ont cent moyens secrets de se contrarier comme de se donner des preuves d’amitié. Le contre-amiral savait fort bien que sir Gervais avait trop d’esprit et de jugement pour croire, comme certains whigs, au compte absurde qu’on avait fait courir pour attaquer la légitimité de la naissance du Prétendant ; et la déclaration ironique qu’il venait de faire de son opinion à ce sujet fut pour l’esprit de Bluewater comme de l’huile jetée sur les flots courroucés, et le disposa à la modération. Telle avait été l’intention de son ami, et le sourire qu’ils échangèrent prouva que leur bonne intelligence était rétablie, — du moins temporairement.
Par déférence pour ses hôtes, sir Wycherly consentit à changer de conversation ; mais il était un peu surpris de voir la répugnance des deux amiraux à parler d’une entreprise qui devait, suivant lui, occuper exclusivement l’esprit de tous les Anglais. Tom avait reçu un échec qui lui fit garder le silence pendant le reste du dîner, tandis que les autres se contentèrent de boire et de manger, comme s’il ne fût rien arrivé.
Il est rare qu’une compagnie se mette à table sans que quelque convive manœuvre pour avoir sa place à côté de la personne qui lui est le plus agréable, quand les prétentions du rang et de la naissance ne s’y opposent point. Sir Wycherly avait placé sir Gervais à sa droite et mistress Dutton à sa gauche. Mais l’amiral Bluewater avait échappé aux yeux du baronnet, et s’était assis sur-le-champ à côté de Mildred, que Tom Wychecombe avait placée près de lui au bas bout de la table. Le jeune lieutenant s’assit en face de miss Dutton, dont le