Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/102

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moi-même. Mon oncle est arrivé, et il a dessein de partir pour les Torri à bord de la première felouque qu’il pourra trouver.

— Eh bien ! voilà qui me fait croire à la Providence plus que tous les sermons de tous les padri d’Italie. Voici un lougre qui vous tiendra lieu de felouque, et nous pouvons mettre à la voile cette nuit même. Ma chambre sera entièrement à vous ; et comme vous y serez sous la protection de votre oncle, je défie la plus mauvaise langue de trouver à y mordre.

Ghita, pour dire la vérité, s’attendait à cette offre ; mais, quelque agréable qu’elle lui fût, le sentiment qu’elle avait des convenances l’aurait engagée à la refuser. Une considération l’arrêta : ce pouvait être un moyen de faire sortir Raoul d’un port ennemi, et par là de le mettre hors de danger. Pour une jeune fille dont le cœur était si plein d’affection, c’était un point auprès duquel les apparences et le qu’en dira-t-on ne pouvaient avoir qu’une influence secondaire. Il ne faut pourtant pas que le lecteur se fasse une fausse idée des habitudes et de l’éducation de Ghita. Quoiqu’elle eût été élevée avec plus de soin que la plupart des jeunes filles de sa condition, elle avait des manières simples et conformes à sa situation aussi bien qu’aux usages de son pays. Elle n’avait pas été assujetties cette contrainte sévère qui règle la conduite des jeunes Italiennes, dans l’éducation desquelles il entre peut-être un peu trop de sévérité, comme il entre un peu trop de relâchement dans celle des jeunes Américaines ; mais on lui avait enseigné tout ce qu’exigeaient les convenances et la délicatesse, tant pour elle-même que par rapport aux autres, et elle sentait qu’il était presque contre les usages du monde, sinon contre la bienséance, qu’une jeune fille fît un voyage à bord d’un bâtiment corsaire, surtout quand celui qui le commandait était son amant avoué. Mais, après tout, la distance de Porto-Ferrajo aux Tours n’était que de cinquante milles, et quelques heures suffiraient pour la mettre en sûreté chez elle ; et ce qui lui paraissait encore plus important, c’était que Raoul se trouverait alors en sûreté comme elle. Elle avait fait d’avance toutes ces réflexions, et, par conséquent, elle était préparée à répondre à la proposition qui lui était faite.

— Si mon oncle et moi nous pouvons accepter cette offre obligeante, Raoul, quand vous conviendrait-il de partir ? Nous avons été absents plus longtemps que nous n’en avions le dessein, plus longtemps que nous ne l’aurions dû.

— Dans une heure, s’il vient du vent. Mais, vous le voyez, Ghita, le zéphyr a cessé de souffler, et tous les éventails d’Italie semblent endormis. Vous pouvez compter que nous mettrons à la voile aussitôt