Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/248

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jeune fille n’ignore elle-même comment elle a obtenu ce nom. Ces affaires-là s’arrangent très-lestement en Italie.

— Signor, reprit Ghita avec énergie après avoir attendu respectueusement que le capitaine eût cessé de parler, je porte le nom de mon père, comme c’est l’usage des enfants ; mais c’est un nom qui vient d’être couvert hier d’une cruelle ignominie, car le père de mon père a été donné en spectacle à des milliers de Napolitains pendant que son corps était suspendu à la vergue d’un de vos bâtiments.

— Et vous prétendez être la petite-fille de ce malheureux amiral ?

— C’est ainsi qu’on m’a appris à me regarder ! Fasse le ciel que la paix refusée à son corps soit accordée à son âme ! Ce criminel, comme vous le supposez sans doute, était le père de mon père, quoique peu de personnes en fussent instruites quand il était honoré comme prince et officier de haut grade.

Un silence profond suivit, la singularité de cette circonstance et l’air de vérité qui accompagnait les manières de Ghita se réunissant pour produire une forte sensation.

— L’amiral passait pour ne pas avoir d’enfants, dit Cuff baissant la voix. Sans doute le père de cette jeune fille a dû le jour à quelque liaison illégitime.

— S’il y a eu quelque promesse ou quelques mots prononcés devant témoins, murmura Lyon, suivant les lois écossaises, des enfants et quelques expressions convenables lient un couple aussi étroitement que pourraient le faire en Angleterre l’un ou l’autre de vos archevêques.

— Puisque nous sommes en Italie, il n’est pas probable que cette loi y soit reconnue. — Souvenez-vous, ajouta le procureur du roi, s’adressant à Ghita, que vous avez juré de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. — Connaissez-vous Raoul Yvard, Français qui commande le Feu-Follet ?

Le cœur de Ghita battit avec violence, et l’alarme se joignit à la sensibilité pour couvrir à l’instant son visage de rougeur. Elle n’avait aucune connaissance des cours de justice et elle ignorait l’objet de l’enquête. Vint ensuite le triomphe de l’innocence, rassurée comme elle l’était par la pureté de son âme et la tranquillité de sa conscience, qui lui donnaient la forte conviction qu’elle n’avait à rougir d’aucun sentiment qu’elle pût nourrir dans son sein.

— Signor, dit-elle en baissant les yeux, car les regards de toute l’assemblée se fixèrent sur elle, je connais Raoul Yvard, dont vous parlez : c’est celui qui est assis entre ces deux canons. Il est Français, et il commande de lougre qu’on appelle le Feu-Follet.