Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sique d’employer des honnêtes gens. Mais pardonnez ce radotage à un vieillard, et revenons auprès d’une veuve aimable qui n’avait pas encore quarante ans.

Mistress Bradfort reçut M. Hardinge de manière à nous convaincre tous qu’elle était ravie de le voir. Elle avait préparé une chambre pour Rupert et pour moi, et nous fîmes de vains efforts pour nous en défendre : il fallut accepter son hospitalité. En moins d’une heure, nous étions tous installés, et nous pouvions nous regarder comme chez nous.

Je ne m’étendrai pas sur le bonheur qui suivit. Trop jeunes pour aller dans le monde, si ce qu’on appelle monde avait alors existé à New-York, nous étions du moins d’âge à voir les curiosités. Je suis tenté de rire en me rappelant en quoi elles consistaient. Il y avait un muséum dont voudrait à peine une ville de l’ouest ayant quinze ou vingt ans d’existence ; un cirque dirigé par un nommé Ricketts ; le théâtre de John-Street, très-modeste édifice consacré à Thespis ; et un lion — c’est littéralement de l’animal que je veux parler — qui était tenu dans une loge hors de la ville, afin que ses rugissements ne troublassent pas le peuple. Nous vîmes toutes ces merveilles, le théâtre même compris, l’indulgent M. Hardinge n’ayant pas vu d’inconvénient à nous y laisser aller sous la conduite de mistress Bradfort. C’était un plaisir tout nouveau pour nous tous ; car bien que nous eussions été en Chine, nous n’avions jamais été au spectacle.

On a bien raison de dire : vanité des vanités, tout est vanité ! Quiconque vivra autant que j’ai vécu verra la plupart de ses opinions, et même de ses goûts, changer. Rien peut-être, excepté la révélation, n’est plus propre à nous rappeler que cette vie d’épreuves n’est qu’un passage, que de voir combien ce que nous avons désiré le plus, ce qui a été le but de notre ambition, a occupé peu de temps notre esprit, et dans un intérêt souvent si futile ! À cinquante ans, l’illusion commence à s’évanouir ; et bien que nous puissions continuer à vivre et même à être heureux, bien aveugle est celui qui n’aperçoit pas la fin de sa route, et ne prévoit pas quelques-uns des grands résultats auxquels elle doit aboutir. Mais voilà des considérations auxquelles nous étions loin de songer en 1799.