petite collection à lui, à laquelle il n’avait recours que dans les grandes occasions, et je me rappelle avoir entendu dire au gouverneur George Clinton, qui devint ensuite vice-président, qui était de l’Ulster, et qui quelquefois s’arrêtait en passant à Clawbonny, que c’était d’excellent madère des Indes orientales. Quant au bordeaux, au bourgogne et au Champagne, c’étaient des vins alors inconnus en Amérique, ou qui ne paraissaient que sur les tables de quelques-uns des principaux négociants ou de quelque riche propriétaire ayant beaucoup voyagé. Si je dis que le gouverneur George Clinton s’arrêtait quelquefois pour goûter le madère de mon père, ce n’est pas pour me faire passer pour plus que je n’étais. Ce qui est certain, c’est que les propriétés héréditaires de ma famille nous donnaient une considération locale qui nous plaçait au-dessus de la classe des fermiers. Si nous avions habité une grande ville, nos relations ordinaires auraient été avec ceux qui sont regardés comme étant d’un ou deux échelons au-dessous de la classe la plus élevée. Ces distinctions étaient beaucoup plus marquées immédiatement après la guerre de la révolution qu’elles ne le sont aujourd’hui, et elles le sont encore plus aujourd’hui que personne, sauf les plus heureux, ou les plus méritants, suivant que la fortune en décide, n’est disposé à en convenir.
Mon père fit la connaissance de ma mère pendant qu’il était à Clawbonny pour se guérir des blessures qu’il avait reçues dans le combat entre le Trumbull et le Walt. J’ai toujours supposé que c’était la grande raison pour laquelle ma mère pensait que la grande balafre qui sillonnait la joue gauche de mon père lui allait si bien. La bataille avait eu lieu en juin 1780, et le mariage fut célébré dans l’automne de la même année. Mon père n’alla plus en mer qu’après ma naissance, qui eut lieu le jour même où Cornwallis capitula à Yorktown. Ces événements combinés réveillèrent le jeune marin ; il sentit qu’il avait une famille à élever, et il voulut faire à son tour à l’ennemi quelques-unes de ces taches de beauté dont sa femme était si fière. Il prit donc du service à bord d’un corsaire, fit deux ou trois heureuses croisières, et put à la paix acheter un brig, qu’il monta, en sa double qualité de patron et de propriétaire, jusqu’à l’année 1790, où il fut rappelé sous le toit paternel par la mort de mon grand-père. En sa qualité de fils unique, le capitaine, c’était ainsi qu’on appelait toujours mon père, hérita de la ferme et de tout ce qu’elle contenait, comme nous l’avons déjà dit, tandis que les six mille livres sterling qui étaient disponibles, furent le partage de mes deux tantes, qui étaient mariées à des hommes de leur condition dans des comtés voisins.