Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/166

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les exigences de sa position, et je crus devoir me contenter de ses explications, afin d’éviter une rupture ouverte. Sennit fut laissé en possession de la chambre, et je consentis à y aller prendre mes repas. Le reste du temps, je devais le passer dans la cale. Cet arrangement, qui, de ma part, était prémédité, me fournit les moyens de conférer secrètement avec Marbre, et de faire nos préparatifs pour profiter de la première occasion qui pourrait se présenter de reprendre le bâtiment. À cette époque, ces reprises n’étaient pas rares. Du moment que j’avais appris que l’Aurore devait être envoyée en Angleterre, j’y avais songé ; et je n’avais conservé Marbre auprès de moi que dans cette intention.

Le lecteur se fera facilement une idée de la position du bâtiment, ainsi que des circonstances dans lesquelles nous étions placés. Nous étions à trois cent cinquante-deux milles au sud-ouest du cap Scilly, et le vent soufflant avec force du sud-sud-ouest, il n’y avait pas de temps à perdre, si je voulais effectuer à temps mon projet. La première occasion de parler à Marbre se présenta pendant que nous étions occupés ensemble dans la cale à faire les dispositions qui pouvaient nous permettre d’y habiter

— Que pensez-vous, Moïse, de ce M. Sennit et de ses gens ? demandai-je à voix basse, en m’appuyant sur une barrique d’eau pour rapprocher ma tête de la sienne. Ils n’ont pas l’air de fameux gaillards. Est-ce qu’avec de l’activité et de l’adresse, nous ne pourrions pas en venir à bout ?

Marbre donna à sa figure l’expression la plus fine qu’il put imaginer, cligna de nouveau de l’œil, alla à l’entrée de la cale pour voir si personne n’écoutait ; et, après s’être bien convaincu qu’il n’y avait rien à craindre, il donna enfin un libre cours à ses pensées.

— La même idée fermente ici, dit-il en se frappant le front, et il faudra bien qu’elle produise quelque chose. Ce M. Sennit est un malin compère, et il ne faut pas s’y fier ; mais son aide boit comme un charbonnier. Il suffit de regarder sa face rubiconde pour s’en convaincre. Celui-là, c’est l’eau-de-vie qui nous le livrera. Ensuite je ne conçois pas ou l’on a été chercher ce tas de lourdauds et d’imbéciles qu’ils nous ont envoyés pour manœuvrer l’Aurore. Il faut qu’ils nous aient donné le rebut de leurs matelots.

— Voyez-vous, ces jeunes capitaines de vaisseau si fringants gardent ce qu’ils ont de mieux, dans l’espoir de quelque combat.