Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de maîtres, je crus plus prudent de laisser les choses suivre leur cours.

Une heure s’était à peine écoulée que l’Aurore commença à diminuer de voile. Des rochers se montraient à un demi-mille de distance, et l’on cargua les basses voiles et les voiles de perroquet. Nous rencontrâmes un grand bateau de pêcheurs qui vint bord à bord, dès qu’ils eurent reconnu qui nous étions. Ils étaient trop accoutumés à tous les mouvements qui avaient lieu le long de la côte pour ne pas deviner sur-le-champ ce qui se passait. On les pressa de questions pour savoir si l’Aurore pouvait s’aventurer à travers une des passes qui étaient devant nous, et qui semblaient bordées de rochers. M. Le Gros parut déconcerté lorsqu’on lui dit que toute la question était de savoir s’il y aurait assez d’eau, ce que les pêcheurs ne savaient pas. Si le bruit et le tumulte étaient déjà grands avant l’arrivée de ces pêcheurs, ce fut alors un tapage vraiment infernal. Cependant la frégate avançait rapidement, et il ne fallait qu’une demi-heure pour qu’elle ne fût plus qu’à une portée de canon. Il y a dans une chasse une excitation qui tient de l’ivresse. J’éprouvai un vif désir de soustraire l’Aurore à la poursuite des Anglais au moment même où je croyais que j’avais moins de chance de me voir rendre justice par les Français. Comprenant la nécessité de ne point perdre de temps, je m’adressai vivement à M. Le Gros, et je lui offris d’aller avec lui reconnaître le passage sur le bateau des pêcheurs. Avec de l’activité, cette reconnaissance ne nous demanderait qu’un quart d’heure, et nous saurions du moins quel parti il valait mieux prendre, ou y introduire notre bâtiment ; ou nous échouer sur les rochers, et sauver ce que nous pourrions de la cargaison, au moyen d’alléger.

Il ne saurait y avoir d’ordre à bord d’un bâtiment sans silence et sans subordination. Un matelot remuant et empressé est un mauvais matelot ; la première qualité, après qu’on a appris les premiers éléments du métier, étant le calme et le sang-froid. Un bon officier ne fait jamais de bruit, à moins que le fracas des éléments ne le mette dans l’impossibilité de se faire entendre autrement. À cette époque les Français n’étaient pas encore initiés à ce secret important, et surtout les corsaires. Je ne puis comparer les clameurs qui s’élevèrent sur le passavant sous le vent de l’Aurore qu’à celles que poussent les femmes de pêcheurs de la Hollande quand elles voient