Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/220

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avoir le dessous dans les combats sur mer contre les Anglais, qu’ils avaient fini par désespérer de la victoire. Le Cerf se défendit noblement ; malgré les désavantages de sa position, il tint bon jusqu’au moment où le Prince-Noir envoya toute sa bordée par sa hanche de bâbord, pendant que le Rapide ne lui laissait pas un moment de repos à tribord et faisait pleuvoir sur lui boulets sur boulets ; ce ne fut que lorsqu’il vit qu’il restait seul pour tenir tête à deux adversaires, que le Cerf se décida à amener pavillon.

Ce fut le signal de la fin du combat ; la Désirée continua son mouvement de retraite, sans qu’on cherchât à s’y opposer ; mais j’appris ensuite qu’elle avait été interceptée le lendemain matin par un bâtiment anglais, à deux ponts, qui rentrait au port, et qu’elle s’était rendue sans résistance.

Le lecteur peut éprouver quelque curiosité de savoir quels sentiments nous éprouvâmes, à bord de l’Aurore, pendant les cinq heures qui s’écoulèrent entre les premiers et les derniers coups de canon ; ce qui se dit entre nous, et quel parti nous crûmes devoir prendre lorsque la victoire fut décidée. Il eût été difficile de trouver quatre hommes dans une position plus impartiale que nous entre les combattants. Comme tous les Américains les mieux élevés de mon époque, au moins jusqu’à la guerre de 1812, j’avais eu d’abord un certain faible pour les Anglais ; mais en pénétrant derrière le rideau des discussions politiques, à mesure que la réflexion avait fait justice des sophismes et des éloges des journaux, j’avais modifié sensiblement mon opinion. L’Angleterre n’était pas alors pour moi plus que toute autre nation ; je n’étais pas non plus de l’école française en politique. Je me tenais sur un terrain neutre, également éloigné de ces théories étrangères.

Marbre avait une aversion prononcée pour l’Angleterre depuis la révolution ; mais, en même temps, accessible aux préjugés vulgaires des hommes de sa condition, il méprisait les Français, et je dois avouer qu’il éprouvait un plaisir barbare à voir les combattants s’entre-détruire. Si nous avions été assez près pour juger des souffrances causées par les terribles incidents d’un combat naval, il aurait éprouvé sans doute de tout autres sentiments ; mais, à la distance où nous étions, il ne voyait que des bâtiments français et des bâtiments anglais qui volaient en éclats.

— Si ce M. Gallois et son lougre infernal pouvaient prendre