Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/244

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aisément au désespoir ; mon lieutenant se serait trouvé seul sur une planche au milieu de l’Océan, que je crois, Dieu me pardonne, qu’il se serait mis à établir un mât de fortune avec un éclat du bois de son embarcation, et en étendant sa chemise en guise de voile. Je n’ai jamais vu personne qui fût plus complètement et plus intrinsèquement marin ; quand une ressource lui manquait, il trouvait à l’instant quelque autre expédient pour y suppléer. Cependant nous ne savions trop si nous devions faire un effort pour nous débarrasser du mât de misaine ; à l’exception du dommage qu’il causait sur le gaillard d’avant, il nous était utile, en maintenant l’avant du navire au vent et en rendant notre position sur le pont meilleure ; mais sans cesse mis en mouvement, comme par un énorme levier, il finit par menacer le pied du grand étai. Nous résolûmes donc de couper du moins le plus d’agrès que nous pourrions, afin de diminuer le mal, s’il était possible.

Notre besogne n’était nullement facile ; ce n’était pas une petite affaire de se tenir debout, même sur le pont de l’Aurore, par un temps semblable, et il restait peu d’objets auxquels on pût se cramponner ; mais nous n’en travaillâmes pas moins avec ardeur et avec assez de succès, pour qu’au bout d’une demi-heure nous fussions débarrassés de la plupart des agrès. L’aspect du temps était plus encourageant, la tempête semblait toucher à sa fin, et nous commencions à redouter moins d’être emportés par les lames que nous embarquions. Il me sembla que le bâtiment était allégé. Nous prîmes quelque nourriture, et nous cherchâmes à nous ranimer un peu par un verre ou deux de vin d’Espagne. La tempérance peut être très-utile, mais un verre de bon vin, pris à propos, ne l’est pas moins. Nous nous remîmes aussitôt à l’ouvrage avec une nouvelle énergie : les débris qui gênaient l’arrière pouvaient être facilement détachés ; je montai avec une hache, et, prenant bien mon temps, je coupai quelques haubans et quelques étais au moment où le bâtiment tanguait pesamment du côté sous le vent, et la masse tout entière alla s’abîmer dans la mer, sans que le navire en souffrît ; c’était un souci de moins, car notre vie était menacée par toute cette masse mobile qui se balançait en l’air. Il s’agissait alors d’attaquer les débris qui encombraient l’avant ; pour avoir une chance de les jeter à la mer, il fallait d’abord couper deux ou trois gros cordages qui les retenaient. Les haubans sous le vent nous donnèrent surtout beaucoup de