Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bâtiment ; c’était la seule chance que je pusse avoir, et j’y jetai mon grappin ; heureusement une des pattes s’accrocha aux cordages qui garnissaient la vergue. Le mouvement du bâtiment était si lent, que mon grappin tint bon, et la masse tout entière commença à céder à la force de traction.

Je puis dire que jusqu’à ce moment je n’avais pas cherché à voir Marbre ; j’avais une telle frayeur de manquer mon coup, que je ne pouvais penser à autre chose. Une fois certain, cependant, que j’avais réussi, je courus à l’avant pour regarder la hune, qui avait été entraînée sous le bossoir même, par-dessus lequel elle était tombée à la mer. Il ne s’y trouvait personne ; ce que j’avais pris pour Marbre, mort ou endormi, était une partie de la grande voile, qui avait été portée sur la hune de misaine, et qu’on y avait assujettie de manière à en former une sorte de lit ou d’abri contre les vagues. Quelle qu’eût été l’intention de celui qui avait fait ce travail, il n’était plus là. Marbre avait été sans doute emporté par la mer, dans une de ses tentatives hasardeuses pour rendre sa position moins mauvaise.

Quand je ne pus conserver aucun doute, l’angoisse que j’éprouvai ne fut guère moins pénible que celle que j’avais ressentie la première fois que j’avais vu mon lieutenant entraîné dans la mer. Il y aurait eu pour moi une triste satisfaction à retrouver son cadavre, afin de dormir avec lui dans une même tombe, dans les profondeurs de cet Océan que nous avions parcouru si longtemps ensemble. Je ne songeais plus à mon sort, et je sanglotais dans toute l’amertume de mon âme. J’avais disposé un matelas sur le gaillard d’arrière ; je courus m’y jeter ; accablé de fatigue, je tombai dans un profond sommeil. Ma dernière pensée fut que j’allais au fond avec mon navire, dans la position où je me trouvais alors ; la nature triompha si complètement de moi, que je ne rêvai même point. Je ne me rappelle pas avoir jamais goûté un sommeil plus calme et plus salutaire ; il dura jusqu’au point du jour. C’est sans doute à cette nuit de repos que je suis redevable, après Dieu, de pouvoir raconter ces aventures.

Il est à peine nécessaire de dire que la nuit avait été tranquille ; autrement l’oreille du marin lui aurait donné l’alarme. Quand je me levai, l’Océan étincelait comme un miroir, sans autre mouvement que celui qui a été si souvent comparé à la respiration de quelque