Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/263

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du radeau vers minuit, et alors eut lieu à quelques brasses de moi la conversation que j’ai rapportée. J’avais été vivement touché de la manière dont Marbre et Neb avaient parlé de mon sort ; à les entendre, il semblait que c’était moi qui étais le plus à plaindre ; ils oubliaient qu’ils avaient été enlevés l’un et l’autre du bâtiment par les lames furieuses, et ils ne songeaient pas au danger qu’ils avaient couru. Je ne pourrais exprimer tout ce que je ressentis en cette occasion ; mais les événements de cette matinée et les preuves d’attachement sans bornes que me donnaient ainsi mes deux anciens compagnons firent sur mon cœur une impression que le temps n’a jamais effacée, et qu’il n’effacera jamais.

Ces explications nous prirent plus d’une heure ; je sentis qu’il était temps de penser un peu à notre situation, qui était assez précaire, quoique Marbre et Neb parussent convaincus que tous les dangers que nous pouvions courir à présent n’étaient que des bagatelles. J’avais été sauvé miraculeusement, ils ne se rappelaient pas autre chose ; mais quand le soleil parut, une brise se leva de l’est, et l’agitation du radeau me convainquit bientôt que j’aurais couru de grands risques si je n’avais pas été si providentiellement secouru. Marbre, lui, ne s’inquiétait de rien ; sa position actuelle, comparée à celle où il s’était trouvé si récemment, sans nourriture, sans eau, sans provision d’aucune espèce, était une sorte de paradis. Néanmoins il n’y avait pas de temps à perdre, et nous avions une longue route à faire dans la chaloupe avant de pouvoir nous croire le moins du monde en sûreté.

Mes deux compagnons avaient mis leur embarcation en aussi bon ordre que les circonstances le permettaient, mais elle manquait de lest pour pouvoir forcer de voiles, et ils avaient éprouvé cet inconvénient, surtout Neb, quand il avait voulu porter au plus près. Il me fut facile de comprendre, par son récit de tous les périls auxquels il avait été exposé, — quoiqu’il n’en eût parlé qu’incidemment et sans le moindre dessein de se faire valoir, — qu’il n’avait fallu rien moins que l’attachement inaltérable qu’il me portait pour l’empêcher de s’éloigner vent arrière, pour sauver sa propre vie. Nous avions les moyens d’y remédier, et nous nous mîmes à transporter dans la chaloupe tous les effets que j’avais placés sur la plate-forme ; ils formaient une cargaison qui lui donnerait de la stabilité. Dès que cela fut fait, nous passâmes à bord de la chaloupe, et nous gou-