Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trois nous poussâmes ensemble un grand cri. Jusqu’à ce moment, personne de la frégate ne s’était aperçu de notre présence ; mais nos cris donnèrent l’alarme, et la poupe de la frégate se couvrit d’officiers ; parmi eux était un homme a cheveux gris, qu’à son uniforme je reconnus pour le capitaine ; il fit un geste, leva le bras, et je compris qu’un commandement venait d’être donné, car la poupe fut évacuée en un instant.

— Par saint George ! s’écria Marbre, voilà quelques secondes que j’étais à généraliser dans ce sens, Miles.

— Mieux eût valu cent fois agir ; mais la frégate s’apprête à virer, et l’on va nous recueillir. Que Dieu en soit béni !

C’était un beau spectacle pour un marin de voir la manière dont le vieux capitaine gouvernait son navire ; à peine nous avait-il dépassés que je vis commencer les dispositions nécessaires pour serrer la toile. Au moment où elle nous abritait sous ses énormes ailes, la frégate avait toutes les voiles grand largue qu’elle pouvait porter, avec ses bonnettes. La grande voile fut carguée presque aussitôt que le capitaine eut fait le signal avec son bras, puis les perroquets flottèrent en même temps. L’instant d’après les vergues étaient couvertes de monde ; la toile fut serrée. Pendant que cette manœuvre s’exécutait, toutes les bonnettes vinrent à bas toutes ensemble comme un oiseau qui plie ses ailes ; les boute-hors disparurent presque aussitôt.

— Regardez, Miles ! s’écria Marbre enchanté ; quoique ce soit un infernal Anglais, ce luron-là n’oublie rien ; il met chaque chose à sa place comme une vieille femme qui serre son fil et ses aiguilles. Je vous garantis que c’est une vieille lame qui a le fil.

— Certes, le bâtiment est bien manœuvré, et son équipage travaille comme des gens qui comprennent qu’il y a des vies à sauver.

Pendant que nous échangions ces paroles, la frégate avait été réduite à ses trois huniers, à sa brigantine, à son foc et à sa misaine ; alors les vergues furent amenées, et elles se couvrirent de vestes bleues comme une ruche autour de laquelle se groupent les abeilles. À peine avions-nous pu suivre de l’œil ce mouvement, que les matelots disparurent, et les vergues furent hissées de nouveau avec les voiles, avec les ris pris. Aussitôt la frégate, qui avait lofé à l’instant où les bonnettes avaient été serrées, vint au plus près du vent, et commença à faire jaillir l’eau au-dessus de sa vergue de civadière, en