Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/7

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LUCIE HARDINGE.




CHAPITRE PREMIER.


— Va, je ne te ferai pas de reproches ! Que la honte arrive quand elle voudra, je ne l’appelle pas. Je n’invoque pas contre toi la foudre vengeresse du grand juge. — Repens-toi, quand tu le peux encore.
Le Roi Lear.



Il me serait aussi difficile de décrire minutieusement ce qui se passa lorsque le canot rejoignit le Wallingford que de dépeindre tous les incidents terribles de la lutte entre Drewett et moi au fond de l’eau. Tout ce que je pus voir, pendant que M. Hardinge et Neb m’aidaient à monter à bord, c’est que Lucie n’était pas sur le pont. Elle était allée sans doute auprès de Grace, pour se trouver là quand elle recevrait la fatale nouvelle qu’on attendait. J’appris ensuite qu’elle était restée longtemps à genoux dans la chambre de l’arrière, absorbée dans cette prière intense et convulsive par laquelle les malheureux en appellent à Dieu dans l’excès de leur désespoir.

Pendant les courts intervalles, à peine appréciables, où quelque sensation étrangère à l’horrible scène dans laquelle je jouais un rôle si actif, pouvait venir jusqu’à moi, j’avais entendu des cris perçants poussés par Chloé ; mais la voix de Lucie n’avait pas frappé mon oreille. Même à présent, pendant qu’on nous hissait à bord presque insensibles, Chloé seule était là, debout, les yeux ruisselants de larmes, les traits à moitié contractés par la terreur, à moitié dilatés par la joie, ne sachant si elle devait rire ou pleurer, regardant d’abord son maître et ensuite son amant, jusqu’à ce que les sentiments qui