Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/162

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un mari affectionné et attentif. Beulah, sans la guerre, ne pourrait être plus heureuse.

— Alors je lui pardonne à moitié sa trahison ; pour le reste je l’abandonne au hasard. Maintenant je suis oncle, mon cœur commence à s’attendrir un peu pour ce petit rebelle. Et vous, Maud, comment se comportent vos sentiments de tante ? Mais les femmes ont le cœur tendre, elles adoreraient un rat.

Maud sourit, mais elle ne répondit pas. Quoique l’enfant de Beulah lui fût presque aussi cher que s’il eût été le sien, elle se rappelait qu’elle n’était pas sa vraie tante, et quoiqu’elle ne sût pas pourquoi, en cette compagnie et dans ce grave moment, cette embarrassante pensée lui fit monter le sang aux joues. Le major ne s’aperçut probablement pas de ce changement de contenance, puisque après une courte pause, il continua naturellement sa conversation.

— L’enfant se nomme Evert, n’est-ce pas, tante Maud ? demanda-t-il en appuyant sur ce mot tante.

Maud aurait désiré que cette parole ne fût pas prononcée, et pourtant Robert Willoughby n’avait pu vouloir lui faire de la peine. Tante Maud était le nom que la famille lui donnait depuis la naissance de l’enfant. En s’en souvenant, Maud sourit.

— C’est ainsi que Beulah m’appelle depuis six mois, dit-elle, c’est-à-dire depuis qu’Evert est né. Je suis devenue une tante le jour qu’il est devenu un neveu, et notre chère et bonne Beulah ne m’a pas, je crois, appelée une seule fois sa sœur depuis ce temps.

— Ces petites créatures introduisent de nouveaux liens dans les familles, répondit le major pensivement. Ils prennent la place des générations précédentes, ils nous enlèvent le rang que nous devons avoir dans les affections, et finissent par nous supplanter. Beulah m’aimera seulement comme l’oncle de son fils. Je ne voudrais pourtant pas être vaincu par l’enfant d’un Hollandais, un enfant qui à peine est né.

— Vous, Bob ! s’écria Maud, vous êtes son véritable oncle, et Beulah ne peut jamais se souvenir de vous et vous aimer que comme son propre frère.

La voix de Maud baissa tout à coup, comme si elle eût craint d’en avoir trop dit. Le major la regarda attentivement, mais il ne parla pas ; elle ne s’aperçut de rien, ses yeux étaient modestement