Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/21

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lui-même par la bride, le passage à travers la forêt se fit jusqu’à la source de l’Otségo. Quoique la distance ne fût que de douze milles, il fallut deux jours pour la franchir. Comme les établissements s’étendaient à quelques milles au sud de la Mohawk, la première nuit fut passée dans une grossière cabane située aux extrêmes limites de la civilisation, si l’on pouvait appeler de ce nom les rudes essais des premiers colons. Les huit milles restants furent parcourus dans la journée du lendemain. C’est assurément plus qu’on n’aurait pu faire dans les forêts vierges, si les gens du capitaine n’avaient déjà souvent parcouru cette route, apprenant par là à éviter les plus grandes difficultés, jetant çà et là des ponts grossiers, brûlant les arbres qui faisaient obstacle, et traçant un chemin en ligne à peu près directe.

Aux sources de l’Otségo, nos aventuriers étaient au cœur du désert. Des cabanes avaient été construites pour recevoir les voyageurs et là se réunit toute la troupe, prête à continuer l’excursion avec ensemble. Elle se composait de douze personnes, y compris les domestiques nègres et quelques ouvriers qu’emmenait le capitaine pour continuer ses travaux. Les éclaireurs n’avaient pas été oisifs, pas plus que les hommes laissés à l’établissement principal : ils avaient construit quatre chaloupes, un petit bateau et deux canots. Tout cela était sur l’eau, attendant la disparition des glaces, réduites alors en masses de stalactites, vertes et sombres lorsqu’elles flottaient réunies, diaphanes et brillantes lorsqu’elles étaient séparées et exposées aux rayons du soleil. Les vents du sud commençaient à dominer, et le rivage étincelait de glaçons entassés qui fondaient rapidement, mais à travers desquels il était encore impossible de se frayer un passage.

L’Otségo est une nappe d’eau que nous avons déjà eu plus d’une occasion de décrire, et la plupart de nos lecteurs se figureront aisément le tableau qu’elle présentait au milieu de son cadre de montagnes. En 1765, aucun signe d’établissement ne s’apercevait sur ses rives car peu de concessions territoriales s’étendaient aussi loin. Cependant cet endroit était déjà connu et depuis plus de vingt ans il était fréquenté par les chasseurs, sans pourtant qu’il restât aucune trace de leur présence. Le matin de son arrivée, madame Willoughby, appuyée sur le bras de son mari, contemplait les scènes environnantes, et assurait qu’elle n’avait jamais vu un si éloquent et si gracieux tableau de la solitude.