Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/260

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entrer son supérieur. Le capitaine s’avança la lanterne à la main ; il trouva la chambre vide. Nick et Mike étaient partis, quoiqu’il ne fût pas facile de découvrir par quels moyens ils avaient quitté la place. Ce ne pouvait pas être par la porte barricadée au dehors, les fenêtres étaient trop hautes, et les cheminées trop étroites pour permettre à un homme d’y passer. La défection de l’Irtandais causa une véritable douteur au capitaine, le sergent lui-même en fut grandement surpris. La fidélité de Mike avait toujours été crue à l’épreuve, et le maître de la place pensa un instant que quelque mauvais esprit s’était mis à l’œuvre pour corrompre ses gens. Je ne m’attendais pas à cela, Joyce, dit-il avec autant de chagrin que de mécontentement. Je ne pensais pas plus à la désertion de Mike qu’à celle du vieux Pline.

— C’est extraordinaire, Monsieur ; mais on n’est jamais en sûreté sans discipline. Un exercice par semaine, et seulement de deux ou trois heures, capitaine Willoughby, peut faire une sorte de milice, mais ce n’est pas ce qui formera des hommes pour le champ de bataille. — Vous parlez d’enrégimenter des hommes pour un an, sergent Joyce, me dit le vieux colonel Flanker, un jour dans la dernière guerre, mais il faut bien un an pour apprendre au soldat à manger. Vos simples gens s’imaginent, parce qu’un homme a des dents, un estomac et de l’appétit, qu’il sait comment il faut manger ; mais manger est un art, sergent, et manger militairement est un art difficile et je maintiens qu’un soldat ne peut pas plus savoir manger comme un soldat, ainsi que l’entendait le colonel, Votre Honneur, qu’il ne peut apprendre ce que c’est que le service sans avoir passé par la pratique. Pour ma part, capitaine Willoughby, j’ai toujours pensé qu’il fallait à un homme les cinq premières années d’enrôlement pour apprendre comment on obéit aux ordres.

— Je croyais le cœur de cet Irlandais bien placé, Joyce, et je comptais autant sur lui que sur vous.

— Sur moi, capitaine Willoughby ! répondit le sergent d’un ton mortifié. Je pensais que Votre Honneur aurait fait quelque différence entre un homme qui a servi trente ans dans votre régiment, et la plupart du temps dans votre propre compagnie, et un ignorant Hibernien que vous ne connaissez que depuis dix ans, un homme qui n’a jamais vu manœuvrer un bataillon autrement qu’à la parade.