Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/358

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dehors, laissait le champ de bataille au Tuscarora. Nick soutint les regards égarés du major avec un sourire de triomphe, et il lui dit en lui montrant les trois corps :

— Eux pas été scalpés. Mort être rien.

Nous n’essaierons pas de décrire le violent désespoir du jeune mari et de son beau-frère. Ce fut pour eux un coup au-dessus des forces de l’humanité, quoiqu’un Américain des frontières eut dû être familiarisé avec de semblables scènes. La tranquille mais aimante nature de Beekman reçut un choc qui lui sembla devoir produire la dissolution de son être. Il releva le corps encore chaud de Beulah et le pressa sur son cœur. Heureusement pour sa raison, un torrent de larmes jaillit de son âme plutôt que de ses yeux, et inonda le doux et placide visage de sa femme.

Dire que Robert Willoughby ne sentait pas la désolation qui était si inopinément tombée sur une famille citée pour sa mutuelle affection et son bonheur, ce serait lui faire une grande injustice. Son cœur chancelait sous le coup, mais il désirait en savoir davantage. L’indien regardait attentivement Beekman, avec autant d’étonnement que de sympathie, quand une main de fer lui serra le bras.

— Maud, Tuscarora ? murmura le major à son oreille ; savez-vous quelque chose de Maud ?

Nick fit un geste affirmatif, et l’engagea à le suivre. Il le mena à la chambre des provisions, tourna la clef, ouvrit la porte, et un instant après Maud pleurait sur le sein de Robert Willoughby. Il ne voulut pas la mener dans la chambre mortuaire, mais avec une douce violence il l’entraîna dans la bibliothèque.

— Dieu soit loué, s’écria l’ardente jeune fille en élevant vers le ciel ses mains et ses yeux inondés de larmes, je ne sais pas qui est vainqueur, mais je m’en soucie peu, puisque vous êtes sauvé.

— Oh ! Maud, ma bien-aimée, nous devons maintenant être tout l’un pour l’autre. La mort les a tous frappés.

Cette annonce était peut-être précipitée, mais dans les circonstances actuelles il n’y avait guère de meilleur parti à prendre. Maud ne put d’abord entendre les détails des événements ; elle les supporta ensuite mieux que Willoughby ne l’avait espéré. Son esprit avait été tellement excité qu’elle semblait préparée à tous les malheurs humains. Elle eut un profond chagrin, mais il fut adouci par ses espérances et ses souvenirs.