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Mais le décalogue ne dit pas une autre syllabe qui se rapporte à la question. « Tu ne tueras pas » se dit de l’homicide ordinaire. « Tu ne déroberas pas, tu ne commettras pas d’adultère », tout cela n’a pas de rapports avec la guerre civile.

— Mais que pensez-vous de ces mots du Sauveur « Rendez à César ce qui appartient à César. » César n’a-t-il pas de droits ici ? Massachusetts et lord North peuvent-ils vider leur querelle de manière à ce que César soit complètement hors de cause ?

Le chapelain baissa les yeux et réfléchit un instant, puis reprit l’attaque avec une nouvelle ardeur.

— Il n’est pas ici question de César. Si Sa Majesté veut venir prendre rang avec nous, nous sommes prêts à l’honorer et à lui obéir ; mais si le roi prétend se tenir éloigné de nous, c’est une résolution qui provient de son fait et non du nôtre.

— Voilà une nouvelle manière d’apprécier le devoir ! Si César fait ce que nous voulons, il sera toujours César ; mais s’il refuse, à bas César. Je suis un vieux soldat, Woods, et tant que je reconnaîtrai que cette question a deux faces, ma disposition à respecter et honorer le roi aura toujours la même force.

Le major parut charmé ; et voyant que la discussion semblait tourner à son avantage, il se retira en s’excusant sur la fatigue. Il pensait bien que si son père, entraîné par la dispute, se retranchait dans les questions de fidélité à la couronne, l’opiniâtreté du vieillard serait plus efficace que toutes les paroles persuasives de son fils. Du reste, les deux lutteurs étaient si chaudement engagés, qu’ils s’aperçurent à peine de la disparition du jeune homme. La discussion continua jusqu’après minuit, les deux combattants ayant repris leurs pipes et poursuivant leur engagement au milieu de flots de fumée qui auraient fait honneur à un champ de bataille régulier.

Pendant que le combat dans la bibliothèque était ainsi vivement disputé, madame Willoughby était retirée seule dans sa chambre, après avoir accompli avec la régularité ordinaire tous les devoirs de la journée. Son cœur de mère était rempli d’un calme délicieux qu’il lui eût été difficile de décrire. Tout ce qu’elle avait de plus cher au monde : son noble fils, si loyal, si fidèle, si longtemps aimé, l’orgueil et la joie de son cœur ; Beulah, sa fille, si douce, si naïve, si sincère, si semblable à elle-même ; et Maud, l’enfant de son adoption rendue chère d’abord par la compassion