Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/242

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— Tout homme qui est à son aise, Corny, se sent porté à travailler pour ses descendants ; ce domaine, pour peu qu’il ne soit pas démembré, peut faire un jour la fortune d’un de mes petits-fils. Un demi-siècle amènera de grands changements dans la colonie, et qui sait si alors un enfant d’Anneke ne bénira pas son grand-père d’avoir aventure quelques milliers de dollars dont il pouvait se passer à la rigueur, dans l’espoir que ce qui n’était entre ses mains qu’un capital deviendrait un revenu pour son petit-fils ?

— Notre postérité du moins nous devra quelque reconnaissance, monsieur Mordaunt ; car je commence à comprendre que Mooseridge ne fera ni ma fortune ni celle de Dirck.

— Vous ne vous trompez pas. Santanstoé vous rapportera plus que la concession considérable de terres qui vous a été faite dans cette contrée.

— Ne craignez-vous plus, monsieur, que la guerre, ou la crainte des ravages des Indiens, ne fasse partir vos colons ?

— Je l’ai craint longtemps ; mais pour le moment ce danger n’existe plus. Si la guerre à ses inconvénients, elle a aussi ses avantages. Les soldats ressemblent aux sauterelles, en ce sens qu’ils consomment tout ce qu’ils trouvent. Les commissaires sont venus ici, et ils ont acheté sans marchander tout ce que mes fermiers ont pu leur vendre, grains, pommes de terre, beurre, fromage, en un mot, toutes les provisions qui ne leur étaient pas indispensables. Le roi paie en or, et la vue de ce précieux métal empêcherait même un Yankee de s’éloigner.

Nous étions alors en vue de l’emplacement qu’Herman Mordaunt avait baptisé du nom de Ravensnest, Nid de Corbeaux, nom qui depuis a été donné au domaine tout entier. C’était un bâtiment en bois placé sur le bord d’un rocher peu élevé où un corbeau avait fait originairement son nid. Placé de manière à être à l’abri d’un coup de main, il avait servi pendant quelque temps de point de ralliement aux familles dispersées sur l’établissement, lorsqu’on venait à craindre quelque invasion indienne. Au commencement de la guerre actuelle, Herman Mordaunt avait cru devoir faire construire de nouvelles fortifications, qui, tout insuffisantes qu’elles eussent pu paraître à un Vauban,