Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/219

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— Je m’inquiète peu de vous et de votre couvée, répondit le vieil André avec chaleur. Vous avez osé arrêter mon ami, contre tout droit, et je viens réclamer sa liberté, ou vous avertir de prendre garde à vous.

— Ne me poussez pas à bout, porte-chaîne, ne me poussez pas à bout ! il y a dans cette clairière des bras qui sont capables de se porter à quelque coup de désespoir, et qui ne se laisseront pas ravir le fruit légitime de leurs travaux par des gens qui portent des chaînes ou consultent une boussole. Passez votre chemin, vous dis-je, et laissez-nous recueillir la moisson que nous avons semée de nos propres mains.

— Vous la recueillerez, Mille-Acres, vous la recueillerez, vous et les vôtres. Vous avez semé le vent, et vous recueillerez la tempête, comme ma nièce, Ursule Malbone, me l’a lu bien des fois. Oui, oui, vous ferez la récolte complète, et plus tôt que vous ne pensez !

— Je voudrais n’avoir jamais vu la figure de cet homme ! Retirez-vous, je vous le répète, porte-chaîne. Ne venez pas nous disputer ce que nous avons si bien gagné à la sueur de notre front.

— Si bien gagné ! En pillant, n’est-ce pas ? et en dévastant les terres d’un autre, en faisant de ses arbres des planches, et en les vendant à des spéculateurs, sans rendre compte du produit au légitime propriétaire ? C’est un pareil brigandage que vous appelez un gain honnête ?

— Brigand vous-même, vieux mesureur de terres ! Comptez-vous pour rien tant de journées passées dans un travail pénible, tant de sueurs répandues, tant de fatigues endurées ? Tout cela ne nous donne-t-il pas quelques droits sur le fruit de nos travaux ?

— C’est toujours là ce qui vous a perdu, Mille-Acres ; vous vous êtes fait dès le principe une morale à vous, au lieu d’adopter celle de tous les honnêtes gens. Coupez, taillez, sciez tant que vous voudrez, fût-ce jusqu’à la fin des siècles, vous n’en aurez pas un pouce de droit de plus. Celui qui part pour son voyage la face tournée du mauvais côté, vieux Mille-Acres, n’arrivera jamais au terme, quand il marcherait jusqu’à ce que la sueur ruis-