Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/242

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travailler ; et j’ai dressé une tente ici dans les bois, là où aucun homme n’avait dressé la sienne avant moi. Eh bien ! à mon avis, c’est ce qui constitue le meilleur des titres, le titre du Seigneur[1].

— Soit, c’est du Seigneur que vous tenez votre titre et vos terres. Mais la ligne de démarcation qu’il vous faudra nécessairement tracer entre vous et votre plus proche voisin, où l’établirez-vous ?

— Chaque homme prend ce qui est nécessaire pour ses besoins, tantôt plus, tantôt moins, suivant l’accroissement de sa famille. Quand il est las d’être dans un lieu, et qu’il veut changer de place, il va s’établir ailleurs, en cédant son établissement aux meilleures conditions qu’il peut trouver.

— Ah ! il cède son établissement ! Comment ! vous vendriez le titre du Seigneur, Mille-Acres, et cela pour quelques misérables pièces d’argent ?

— Vous ne comprenez pas Aaron, dit Prudence qui crut devoir intervenir, toujours prête qu’elle était à voler au secours de son mari, et à mettre à son service, sa langue, ses dents, ses ongles ou sa carabine. Il veut dire que le Seigneur a créé la terre pour ses créatures ; que chacun a droit d’en prendre ce qu’il lui en faut, de s’en servir tant qu’il lui plaît, et de céder ensuite ce qu’il a pu y construire, au prix dont on convient.

— J’entends ; mais voilà deux hommes qui commencent en même temps le voyage de la vie. Il leur faut des fermes à tous deux. Ils s’enfoncent dans le désert, et ils ont envie de la même colline. Que feront-ils ?

— Le premier venu est le premier servi, c’est ma maxime. C’est la possession qui fait le droit.

— Eh bien ! volontiers, Mille-Acres ; le premier venu sera le possesseur ; mais jusqu’où s’étendra sa possession ?

— Je vous l’ai déjà dit ; cela dépendra de ses besoins.

— Mais quand son ami, plus lent, arrivera, et qu’il voudra s’établir à côté de lui, où sera placée la limite entre eux ?

  1. Le lecteur trouvera sans doute que M. Mordaunt Littlepage ne devrait pas se donner la peine de réfuter de semblables doctrines ; mais n’en voit-on pas tous les jours soutenir d’analogues, quoique sur des points différents, dans des journaux de New-York dévoués à la cause de l’anti-rentisme, et n’en a-t-on point poussé les conséquences jusqu’à l’effusion du sang.