Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/317

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homme ; car aujourd’hui pour vous, le temps et l’éternité c’est à peu près la même chose.

— Je mourrais plus tranquille, Prudence, si le porte-chaîne voulait seulement convenir que l’homme qui abat un arbre, qui le taille, qui le scie, y acquiert une sorte de droit, légal ou naturel.

— Je suis fâché, Mille-Acres, de ne pouvoir vous donner cette satisfaction, dit André ; mais si j’en convenais, je ne mériterais plus l’estime des honnêtes gens. Écoutez plutôt votre femme, et les consolations ne vous manqueront pas. Seulement il n’y a pas de temps à perdre. Nous n’avons l’un et l’autre que peu d’heures à vivre. Je suis un vieux soldat, camarade, et j’ai vu plus de trois mille hommes tués à côté de moi, sans parler de ceux qui sont tombés dans les rangs ennemis. J’ai donc acquis assez d’expérience pour juger des blessures, et des suites qu’elles peuvent avoir. Je m’y connais : nous ne passerons pas la nuit. Réglons donc nos comptes le mieux et le plus vite possible. Un squatter doit hésiter moins que personne. Voyez-vous, ce qui fait le mérite de tel ou tel état, de telle ou telle profession, c’est la manière dont on s’y conduit. On ne demande pas à un pauvre porte-chaîne d’être savant, d’avoir de belles manières ; mais de mesurer la terre avec fidélité, et de s’acquitter, de son mieux, des travaux qui lui sont confiés. Ainsi, prenez courage, camarade. Si la vieille Prudence ne connaît pas assez la religion et sa Bible pour prier convenablement pour votre âme, adressez-vous à ma nièce que voici. Ursule s’entend à prier, tout aussi bien et mieux qu’un ministre. Essayez ; vous verrez que, à mesure que vos forces s’affaibliront, vous sentirez croître votre courage et vos espérances.

Mille-Acres tourna la tête du côté d’Ursule, et attacha sur elle un long regard. Je vis la lutte qui se passait dans son âme ; et voulant laisser à la chère enfant toute liberté d’agir comme son bon cœur le lui dicterait, sans être gênée par des témoins, je fis un signe à Frank Malbone, et nous sortîmes ensemble en fermant la porte après nous.

Les deux heures qui suivirent, et qui me parurent d’une longueur mortelle, furent employées par nous à parcourir la clai-