Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/73

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Ce n’était ni du français, ni du hollandais ; car j’avais de ces deux langues une teinture suffisante pour être sûr de ne pas me tromper. L’idée me vint que la chanson était indienne, non l’air, mais les paroles. L’air était certainement écossais ; et il y avait des moments où je me figurais que quelque jeune montagnarde chantait près de moi une des chansons celtiques de son pays. Mais une attention plus soutenue ne me laissa aucun doute : les paroles étaient bien indiennes, probablement du dialecte mohawk, ou de quelque autre que j’avais souvent entendu parler.

La voix semblait partir de derrière un épais rideau de jeunes pins, qui s’étendait à peu de distance de la route, et qui sans doute masquait quelque hutte. Tant que dura la chanson, aucun arbre de la forêt ne fut plus immobile que moi ; mais dès qu’elle fut terminée, j’allais m’avancer vers le taillis pour en sonder les mystères, quand j’entendis un éclat de rire qui était presque aussi mélodieux que le chant lui-même ; il n’avait rien de rauque, de grossier, ni même de bruyant ; il était plein de douceur et de gaieté. Je m’étais arrêté un instant pour écouter ; et avant que j’eusse fait un nouveau mouvement, les branches s’entrouvrirent, et un homme sortit du taillis. Il ne me fallut qu’un coup d’œil pour reconnaître que c’était un Indien.

Quoique je susse déjà que je n’étais pas seul, cette apparition soudaine me causa quelque tressaillement. Il n’en fut pas de même de celui qui s’avançait de mon côté : il ne pouvait savoir qu’il y avait quelqu’un après de lui ; et pourtant il ne manifesta aucune émotion, au moment où son regard calme et froid tomba sur moi. Marchant d’un pas ferme, il gagna le milieu du chemin ; et comme je m’étais retourné involontairement pour continuer ma route, ne sachant s’il était prudent de rester seul dans ce voisinage, l’homme à peau rouge suivit la même direction, de ce pas silencieux ordinaire à l’Indien, chaussé du mocassin, et nous nous trouvâmes cheminer côte à côte.

L’Indien et moi nous continuâmes à marcher ainsi au milieu de la forêt, pendant deux ou trois minutes, sans parler. Je m’abstenais de prononcer un seul mot, parce que j’avais entendu dire que l’Indien respectait le plus ceux qui savaient le mieux