Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/74

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réprimer leur curiosité ; habitude qu’au surplus mon compagnon semblait avoir contractée au plus haut degré. À la fin cependant, il me fit, du ton sourd et guttural de sa nation, le salut d’usage sur la frontière :

Sa-a-go ?

Ce mot, qui, sans doute, a fait partie autrefois de quelque dialecte indien, passe aujourd’hui pour indien chez les blancs, et pour anglais, sans doute, chez les Indiens. C’est ainsi que se sont popularisés, entre les deux races, les mots de squaw, de mocassin, de tomahawk. Sa-a-go veut dire : Comment vous portez-vous ?

Je répondis à la politesse de mon voisin en lui adressant la même question ; après quoi, nous cheminâmes de nouveau en silence. Je profitai de l’occasion pour examiner mon frère à peau rouge, ce qui me fut d’autant plus facile qu’il ne me regarda pas une seule fois, le premier coup d’œil lui ayant suffi sans doute pour apprendre tout ce qu’il voulait savoir. En premier lieu, je fus bientôt convaincu que mon compagnon ne buvait pas, grand mérite chez un sauvage qui vivait près des blancs. On n’en pouvait douter à sa démarche, à ses manières, et, en outre, à cette circonstance, qu’il n’avait point de bouteille, ni aucun vase qui pût en tenir lieu. Ce qui me plaisait le moins, c’est qu’il était complètement armé. Il avait le couteau, le tomahawk, la carabine, le tout de première qualité. Cependant il n’était pas peint, et il portait une chemise de calicot ordinaire, suivant l’usage de sa nation dans les chaleurs. Il avait, dans la physionomie, cette expression austère qui est si habituelle au guerrier Rouge ; et, comme il avait plus de cinquante ans, ses traits commençaient à paraître fatigués et flétris. Cependant il semblait encore vigoureux, avait l’air respectable, et l’on voyait qu’il avait dû demeurer longtemps au milieu d’hommes civilisés. Je n’avais pas d’inquiétude sérieuse de cette rencontre, bien que nous fussions enfoncés au milieu de la forêt ; mais je ne pouvais m’empêcher de réfléchir combien mon fusil de chasse serait inférieur à sa carabine, s’il lui prenait fantaisie de tourner les talons et de tirer sur moi, de derrière un arbre, pour me dévaliser. La tradition racontait des incidents semblables, quoique, à