Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/85

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— Pas précisément ; mais je suppose que nous approchons de Ravensnest.

— C’est drôle ! Il possède une terre, mais il ne la connaît pas. Voyez : cet arbre marqué — c’est là que votre terre commence.

— Merci, Susquesus. Un père ne reconnaîtrait pas son enfant, s’il le voyait pour la première fois. Songez, je vous le répète, que, tout propriétaire que je suis, c’est ma première visite dans ces lieux.

Tout en causant, Sans-Traces avait quitté la route pour me faire prendre un sentier de traverse, qui abrégeait au moins de deux milles. Par suite de ce changement de direction, Jaap n’aurait pu me rejoindre, quand bien même il eût fait plus de diligence ; mais à cause du mauvais état de la route, nous allions plus vite à pied que les deux bêtes fatiguées qui traînaient le chariot. Mon guide connaissait le chemin à merveille ; et, en gravissant une colline, il me fit remarquer, près d’une source, les restes d’un grand feu. C’était là qu’il avait l’habitude de camper, quand il voulait rester près de la concession, mais sans y entrer.

— Il y a trop de rhum dans la taverne, dit-il. Il n’est pas bon de rester près du rhum.

C’était avoir un grand empire sur soi-même pour un Indien ; mais j’avais toujours compris que Susquesus était un Indien extraordinaire. Même pour un Onondago, il était d’une tempérance et d’une sobriété remarquables. Je n’ai jamais su pourquoi il avait quitté sa tribu. J’appris par la suite que le porte-chaîne en connaissait le motif. Le vieil André affirmait toujours que ce motif était honorable pour son ami ; mais il ne voulut jamais trahir son secret.

Peu de temps après avoir passé devant la source, Susquesus me conduisit à une clairière sur la hauteur, d’où la vue planait sur presque toute la partie de mes possessions qui était exploitée. Nous nous y arrêtâmes, et m’asseyant sur un arbre tombé, ce que l’on rencontrait assez fréquemment, je me mis à contempler la vue avec cet intérêt que le sentiment de la propriété ne manque jamais d’exciter en nous tous tant que nous sommes. La